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De la volonté

12 octobre 2013

L’univers des possibles est plus que vaste, il se courbe, se fracture, se tord dans des dimensions intimes ou gargantuesques. J’ai, pour ainsi dire, perdu pied du quotidien calme de mes quatre murs. J’arrive chez moi avec un autre regard, comme si l’endroit ne m’appartenait plus. Tout est encore de ce désordre des gens qui habitent trop longtemps leurs quatre murs. Il faudra que ça change.

Tout est encore à faire, j’imagine. Rien n’est acquis à part la certitude que, de changer, quand on veut, cela se peut. Pendant quelques jours, j’avais ressenti l’importance du geste, celui de me soumettre à l’horaire d’un autre, celui d’abandonner le confort, même chambranlant, de la clientèle établie. Et pendant les semaines qui suivirent, j’ai fait petit à petit les deuils de certains dossiers, ai constaté que, d’homme à tout faire, je deviens simple intégrateur expérimenté, certes, mais seulement ça. Mes anciens clients m’affirment chercher ailleurs et c’est évidemment ce qu’ils doivent faire. Je ressens quand même un petit pincement au cœur de les laisser. Quitter pour refaire sa vie dans une autre ville ou un autre pays ressemble un peu à cela.

Le matin est plus réglementé. Je me lève à la même heure, je prends mon petit-déjeuner, je me lave, je prends tout de même trente minutes pour faire le trajet à pied vers mon cubicule. Je me suis acheté aujourd’hui des bottes, investi 350 $ dans quelque chose qui résistera à la marche d’hiver. J’évite encore la trop grosse foule, celle qui s’enrégimente pour entrer dans les autobus, celle qui s’agglutine dans les veines du métro.

J’ai besoin de poursuivre, autrement dit, la promenade. Je me considère encore un outsider du quotidien. Au bureau, j’interagis avec mes coéquipiers, les sourires s’installent, les codes de chacun sont peu à peu digérés. Puisque nous sommes nombreux, je ne connaîtrai que peu d’entre eux. C’est un univers de geeks, 80 % masculins pour la programmation, 90 %( ?) féminins pour le design, 40 % m / 60 % f pour la gestion, 100 % m pour le soutien informatique.

C’est une entreprise en croissance. On le sent dans le va-et-vient, les annonces, les projets. J’ai déjà changé de place, car on devait réorganiser pour les nouveaux. Ça me change d’une certaine décroissance, en commençant par la mienne. Je vais pouvoir budgéter, remplir les ballasts pour rééquilibrer le navire.

Ce que sera fait demain n’est pas encore clair. J’ai repris le chant, la chorale, je serai dans un an publié. Je dois me laisser une place, un créneau horaire pour la créativité. Se taire dans une trop paisible sécurité n’est pas mon genre. Je ne m’en fais pas outre mesure.

Je n’ai, pourtant, en ce moment, qu’un désir. Celui de m’asseoir sur le sol, dans une pièce dénuée d’artifice. Redécouvrir ma respiration, ma tour de feu.

Durant un de mes cours, mon professeur m’a encore dit de cesser de vouloir trop prendre mon air, comme si je m’apprêtais à plonger profondément sous l’eau. Chanter est impossible sous l’eau. Depuis cette remarque, je m’efforce et parviens très facilement à tout faire en ne prenant que mon air de parole.

Le corps sait ce qu’il faut faire. Si je veux, il le peut. M’asseoir donc, m’imprégner du théologique silence de l’instant présent, voir en autrui la manifestation d’une énergie semblable à la mienne, écouter en eux la même mélodie existentielle.

Prier, certes, comme seul le laïc peut le vouloir et le faire.