en

Des nouvelles des Mailles sanguines

9 novembre 2013

Sur le métier, remettez constamment votre ouvrage. Une araignée ne se fait pas prier, elle recoud, réinvente, attend, happe, répare, telle une pêcheuse aérienne. Il en va aussi des Mailles sanguines.

J’ai rencontré pour la première fois Annie Goulet, l’éditrice responsable de mon roman chez VLB. La rencontre a eu lieu chez Juliette et Chocolat, tout juste avant ma répétition de chorale.

Nous ne nous étions, jusqu’à maintenant, qu’échangé des courriels décorés de vouvoiements. Et c’est donc, pendant la première demi-heure, chargés encore de cette politesse que nous avons abordé le roman.

Le roman est bon, certes, mais Annie y voit deux grandes failles (c’est moi qui emploie ce mot, elle n’a jamais parlé ainsi) : 1) la description des dialogues n’est pas littéraire, plus près de la didascalie (instruction théâtrale), 2) les dialogues eux-mêmes manquent parfois de naturel. Annie préfèrerait un langage moins châtié.

Nous avons ensuite discuté de plusieurs approches. Elle m’a posé plusieurs questions, mettant sur la table une possible réécriture, l’abandon même de personnages. J’ai senti, pendant un temps, un certain vertige à voir se déconstruire ainsi le texte et j’ai eu, du même coup, à défendre ma façon d’aborder l’écriture.

Il était certes dangereux d’utiliser la voix de plusieurs personnages, j’aurais pu aborder l’histoire sous la seule lorgnette du « je », j’aurais pu faire intervenir davantage l’écrivain dans la description des dialogues, bref, j’aurais pu rendre plus littéraire certains passages. J’ai compris toutes ces choses qu’elle me proposait et je me suis senti étranger à la littérature, prétextant mon inhabilité littéraire ou mon manque de pratique.

Évidemment, il s’agissait d’une réaction à froid. Ce qu’elle remarquait, je l’avais moi aussi remarqué. Annie a raison. J’ai toujours eu du mal à décrire, car je suis peut-être un visuel, aurais sans doute mieux faire d’écrire un scénario de film. En même temps, s’il est un mode d’expression qui a mal vieilli, c’est bien l’écriture de romans. Le théâtre, le cinéma, l’opéra, la musique jouissent d’une renaissance, aidés par la technologie et les effets spéciaux. Le roman, quant à lui, conserve sa peau de chagrin syntaxique, surtout le roman français qui, après de multiples expériences, a du mal à se sortir de sa vieille toile qu’il rapièce obstinément.

Le seul avenir repose sans doute sur le souffle de l’auteur qui fait de plus en plus figure d’ascète forcé de se contenter de sa gamelle.

Je cherche donc mon souffle ; il n’existe pas de Photoshop pour l’écriture, pas plus d’After Effects, de Final Cut de la syntaxe.

Les romanciers anglophones jouissent peut-être d’un peu plus de liberté que les francophones, car leur langue aime le rythme, ne s’empêtre pas de longs tirets pour exprimer le dialogue, se donne en spectacle avec toutes ces consonnes et ces contractions. Moi qui lis beaucoup en anglais aimerais ainsi dépoussiérer l’usage des cadratins, me débarrasser des guillemets français encombrants.

Ce ne sont que des artifices ? Que des excuses à mes faiblesses littéraires ? J’en doute. Je le redis, je cherche mon souffle. Comme je le disais à Annie, la pensée humaine est un maelstrom qui, d’individu en individu, ne diffère pas outre mesure. Je m’intéresse beaucoup à cette « poésie de la pensée », ce chaos épais, parfois étouffant, que notre bienséance et notre peur de la vérité étouffe à coup de convenances et de ponctuations.

Cela dit, j’accepte d’emblée de réécrire le roman dans cette optique de clarifier mon malaise. Je me fais araignée, redessinerai la toile non pas en coupant dans les caractères, mais en m’assurant que chaque mot écrit sera le fruit d’une braise nourrissante.

Il y a beaucoup de dialogues dans ce roman. Il nous faut trouver, Annie et moi, la manière de les amener. Je dis « nous », car il s’agit d’un travail d’équipe comme le font si bien les anglophones. Je suis content que, chez VLB, on prenne le rôle d’éditeur à sa juste valeur. Chez les Anglais, on fait la distinction entre editor et publisher. Celui (ou celle) qui édite, et celui (ou celle) qui publie. Un éditeur n’est pas un réviseur, rôle plus clérical.

Au milieu de la rencontre, j’ai demandé à Annie si on pouvait cesser de se vouvoyer. Elle éclata d’un rire franc, son visage se transformant aussitôt, le sang amical à ses joues. « Je n’ai jamais vouvoyé aussi longtemps un auteur ! »

Je me demande bien pourquoi j’imposais cette distance. Je ressemble à ce Serj de mon roman, m’entoure d’un volcan de silence. M’enfin, la glace est maintenant bel et bien brisée et je repars à l’aventure.

Oh, dernière chose. C’est moi qui ai posé la question: « ce titre, Les Mailles sanguines, convient-il ? »

Annie ne s’est pas fait prier pour répondre : « Eh bien ! Quand on a le titre sous les yeux, ça passe, mais quand on le dit à quelqu’un, ça coince. »

Je m’en étais rendu compte. Les Mailles... L’émail... sanguines, sans quoi ? Chaque fois que je devais dire le titre à un interlocuteur, je faisais exprès pour faire une pause entre « Les » « Mailles » « sanguines ». Ce n’est pas de bon augure, ça.

Tout est donc remis sur la table. Moi qui pars généralement d’un titre pour écrire, voilà qu’on m’enlève la chaise avec laquelle je tentais d’atteindre mon biscuit.

En ouvrant mon logiciel de gestion de photos, je suis tombé sur cette araignée, photographiée il y a quatre ans. La toile... Est-ce une piste ? Ces quatre enfants qui reviennent dans le giron familial après quinze années d’absence ne tombent-ils pas dans le filet du passé araignée ? Voilà, la machine de l’écrivain s’emballe.