Deuxième cours de chant, hier. J’y allais certes avec entrain, même si quelques craintes se pointaient. Une première expérience se rapproche souvent de l’épiphanie, d’une révélation qui allume un feu souvent longtemps endormi. Mais lorsque vient le temps de poursuivre le premier effort, les embûches, les problèmes risquent de vous rappeler à l’ordre. S’il est facile de lancer des premiers sons primaux, il faut pouvoir ensuite être capable d’aller au-delà.
Je suis ainsi arrivé muni des deux pièces choisies par mon professeur (Vincent Ranallo, un ami que je connais depuis au moins cinq ans sur Internet. Il y a une semaine, c’était notre première rencontre en vrai). J’avais débroussaillé les deux pièces. Nous n’en avons abordé qu’une après une première demi-heure occupée à divers exercices et explications.
Première constatation. Il me faut désapprendre les réflexes du chant choral. Chanter est plus simple qu’on le pense, une action qui précède la parole en quelque sorte. Chanter se fait en cessant de gonfler inutilement ses poumons, en écoutant son corps qui sait, lui, comment respirer (le diaphragme descend, laissant les poumons se remplir aisément d’air. Observez votre respiration, bouche fermée. Vous réaliserez que c’est plutôt le bas de votre dos qui s’ouvre et que les omoplates se soulèvent légèrement à l’entrée d’air. On chante donc un peu avec son dos).
J’a souvent entendu des professeurs de chant venant nous donner quelques techniques chez Ganymède qu’il faut chanter un peu comme un simple d’esprit (cela comprend les trisomiques et aussi les enfants). Pourquoi ? La raison qui nous contrôle et qui nous oblige à vouloir bien performer est notre pire ennemie. Il faut (bêtement) ouvrir très grand la bouche comme si on allait bailler (bref bayer: ouvrir grand) et qu’on voulait en même temps siffler. La «caverne» ainsi créée dans le haut de la gorge est tout ce qu’il faut, au départ, pour faire résonner son corps (c’est du moins ce que j’en comprends à ce stade-ci de mon apprentissage, Vincent viendra peut-être me contredire ici). Aussitôt que je me mets à chanter ainsi, le son est beau. Et aussitôt que je veux répéter l’exploit, je frappe un mur. Mon orgueil, ma joie, mais surtout le contrôle d’adulte que je veux exercer sur mon chant, gâchent la sauce.
Les multiples techniques apprises lors du chant choral sont autant de ces raisonnements abscons sur l’art de chanter. Je suis donc d’avis que je chantais moins bien lors de ce deuxième cours de chant, et c’était inévitable. Il faut déconstruire, revenir le jeune homme que j’étais, sans ces douleurs, ces jugements, qui ont sculpté ma personnalité.
La deuxième partie du cours fut dédiée à l’apprentissage d’un air italien. Vincent m’a au départ traduit la pièce (un truc sur un lacet, un nœud qui est en fait une métaphore surannée sur les chaînes de l’amour). Ensuite, ce fut le commentaire sur ce qu’est l’italien, une langue naturellement rythmée (contrairement au français). Ainsi, la musique italienne doit toujours rebondir, s’amuser avec les mots. Sans cette vivacité, la musique est plate, plate, plate. Enfin, nous attaquâmes le chant lui-même.
Ouf ! J’en perdais mon vocabulaire, je devenais dyslexique, je manquais de souffle (car j’essayais d’en avoir), j’étais soudain tout cambré et je suis d’ailleurs sorti de mon cours avec une crampe à l’épaule gauche. Toutefois, à mon retour à la maison, en rangeant la vaisselle, je me suis remis à chanter, sans y penser, et la voix était redevenue belle. J’étais ému.
Mon sentiment actuel est un peu triste. Je regrette d’avoir attendu aussi longtemps avant d’apprendre vraiment à chanter. Ma jeunesse est derrière moi. Bien sûr, il s’agit d’un sentiment passager et futile. À ce compte, on n’avancerait jamais dans la vie et le chemin qu’on choisit est sagement celui qu’il me faut prendre (je simplifie).
J’aimerais que mes amis choristes, chez Ganymède, suivent mon exemple. Non pas qu’ils chantent mal, bien au contraire, mais bien pour qu’ils puissent apprendre, comme moi, à ne plus avoir peur de chanter, pour retrouver ainsi, une parcelle de jeunesse qui ne les aura jamais quittés.
J’ai hâte à mon troisième cours.