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Dialogue avec Krishna

20 août 2025

J’ai terminé la lecture de la Bhagavad Gita, traduite par Eknath Easwaran. Chaque chapitre est commenté par Diana Morrison. Tout comme pour les deux autres traductions de la série (The Upanishads et le Dhammapada), ces commentaires ont été fort éclairants et ont bien cerné, je pense, la nature de ce texte.

La (ou le) Bhagavad Gita (littéralement « Chant du Bienheureux ») aurait été écrite entre le IIᵉ siècle av. J.-C. et le IIᵉ siècle apr. J.-C. Le bouddhisme et le jaïnisme sont déjà en plein essor en Inde et font ombrage à la religion hindoue. La Gita (prononcez guita) apparaît comme une réponse, réaffirmant la valeur du monde et de l’action (au lieu du retrait ascétique) des bouddhistes.

La Bhagavad Gita fut insérée au sein de la grande fresque du Mahabharata qui est l’une des plus vastes épopées jamais écrites (près de 18 livres, 200 000 versets. La Gita en compte 700). 

Deux armées immenses s’affrontent : les Pandava, héritiers légitimes du trône, et leurs cousins, les Kaurava, usurpateurs.

Sur le champ de bataille, Arjuna, le héros Pandava, voit en face de lui ses proches, ses maîtres, ses amis. Le doute d’Arjuna est existentiel. Comment agir dans ce monde cruel? Peut-on combattre le mal avec le mal? Comment tuer ceux qu’il aime ? À quoi bon un royaume gagné dans le sang ?

S’ensuit un dialogue entre lui et Krishna, qui lui révèle à la fois sa nature divine, et lui parlera du devoir de chacun de chérir sa présence. Krishna enseignera également que l’on ne peut échapper à son destin. Toute action a son mérite si elle est faite avec détachement et pour le bien de tous.

Il existe trois niveaux d’action qui mène à l’union avec Krishna :

  1. L’action sans égoïsme, sans attachement aux fruits qu’elle produit;

  2. L’action par la connaissance, soit comprendre intellectuellement le Divin;

  3. L’action par la dévotion, soit la soumission, l’abandon à Krishna.

Comme la méditation est une pratique complexe, difficile, voire héroïque, Krishna explique à Arjuna que l’action sans égoïsme, quoique graduelle et longue (car il faut plusieurs vies pour la maîtriser), est davantage accessible au commun des mortels. Puisque nous sommes vivants, il faut agir dans cette existence, satisfaire ses besoins, mais le faire avec simplicité, amour et désintérêt.

Arjuna ne doit pas avoir peur de la mort, poursuit Krishna. C’est seulement une apparence, une illusion. Le corps n’est que le champ d’action de l’évolution de l’âme. Ce qui compte, c’est l’esprit dans lequel on agit. L’action devient une libération et non une chaîne. La délivrance ne signifie pas fuir le monde, mais agir dans le monde sans s’y attacher.

Krishna dévoile, dans un des chapitres, sa vraie nature à Arjuna. La lumière qui émane de lui est si intense qu’Arjuna finit par l’implorer de revenir à sa forme familière et humaine. Ce passage m’a fait penser à la transfiguration du Christ décrite dans le Nouveau Testament.

Jésus prend Pierre, Jacques et Jean sur une montagne. Son visage resplendit comme le soleil, ses vêtements deviennent éclatants. Moïse et Élie apparaissent, et une voix proclame : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le. » Comme pour Arjuna, les disciples reçoivent une vision de la vraie nature divine du maître, au-delà de son apparence humaine.

On ne peut faire de tels rapprochements dans le bouddhisme (pour ce que j’en sais…). Il n’existe pas de Dieu avec Bouddha. Ce dernier est un individu qui a atteint le nirvana, une non-Réalité ultime, éternelle.

Conclusion

J’ai apprécié la connaissance diffusée dans le triptyque traduit par Easwaran. Bien que les trois textes majeurs, les Upanishads, le Dhammapada et la Bhagavad Gita soient considérés comme l’essence des mouvements qu’ils représentent, cela ne couvre pas l’ensemble de la pensée mystique ou religieuse de l’Asie.

L’origine de la conscience ou de l’intuition du divin se perd dans la nuit des temps et je n’ai pas abordé le jaïnisme, le sikhisme ou le shintoïsme, et il y en existe beaucoup d’autres.

Au risque de simplifier, on en revient toujours au même, peu importe l’époque, l’endroit ou la culture. La Réalité est incompréhensible, l’existence de chacun est en soi une tragédie apparente, faite de nécessités, de bonheurs et de souffrance. Il existerait une forme d’au-delà avec plus ou moins de strates. Les moyens pour atteindre ce sommet diffèrent.

Certains choisissent de la subir, de s’en contenter et demeurent prisonniers de leurs corps, de leurs sens, cherchent à perpétuellement étancher une soif inébranlable. Ces gens-là se voient refuser un paradis ou un jardin céleste ou doivent remonter la pente de leur destin. Les existentialistes sont de ce camp?

D’autres se tournent vers une méditation solitaire, tentent de maîtriser les vents tumultueux de leur esprit. Ils atteignent parfois une sérénité aussi délicate qu’éphémère. L’intransigeance de leur effort n’a d’égale que l’insurmontable difficulté de la tâche. Tantôt, ils y parviennent et disparaissent à quelques exceptions près dans leur silence illuminé, tantôt quelques grands feux, Bouddha, Jésus ou Mohammed laissent une cendre nourricière derrière eux.

Enfin, certains se soumettent aveuglément, amoureusement à ce qu’ils ne peuvent saisir. Tout est affaire de dosage. Parfois, l’amour devient érotisme, flagellation ou obfuscation, parfois cette voie est empruntée par des pèlerins de paix et de justice.

Pour ma part, je me laisse porter par les lectures. Cela ne date pas d’hier. Je semble pouvoir comprendre ces idées. Je ne sais si je les assume, les ressens. J’aimerais ne plus douter, mais ma peur et mon inquiétude semblent trop grandes.

On dit qu’il suffit de voyager à pied pour connaître le monde. Mes heures sont des petits pas sur un chemin brumeux. J’arpente en espérant de voir de temps en temps un beau paysage.

Je me plais à croire qu’il existe un Ordre, une Mesure, une Direction. Si l’esprit humain est l’inventeur de tant de théophanies et de philosophies kaléidoscopiques et cousines, n’est-ce pas la preuve qu’il plonge ses racines dans le Sol fertile et mesuré de la Réalité ineffable?

Référence : Easwaran's Classics of Indian Spirituality (Série de 3 livres) par Eknath Easwaran, Nilgiri Press, 2019.

Illustration : Midjourney