Vois avec justesse. Comprends la réalité. Elle est changeante, impermanente. Tout est souffrance, parce que tout résiste et s’attache au désir égoïste.
Pense avec justesse. Cultive des intentions pures. Renonce. Chéris la bienveillance et la compassion. La haine, la violence sont vaines.
Parle avec justesse. Ne mens ni ne calomnie. Éloigne-toi de la médisance ni ne pérore. Use de paroles vraies et utiles.
Agis avec justesse. Ne tue ni ne vole, n’utilise pas ton sexe indûment.
Survis avec justesse. Gagne ta vie de manière éthique, ne nuis pas à autrui. Ne récolte que ce dont tu as besoin. Partage.
Efforce-toi avec justesse. Reste vigilant, ne t’affaiblis pas, soigne ton corps, demeure éveillé à la réalité.
Reste conscient avec justesse. Sois pleinement conscient de ton corps, de tes sensations, de ton esprit et de tes inventions mentales.
Concentre-toi avec justesse. Cherche le sol ferme intérieur, médite jusqu’à atteindre une clarté mentale et sage.
Il s’agit, interprété à ma manière, du Noble Chemin Octuple enseigné par Bouddha. C’est ce que je retiens de la lecture du Dhammapada, traduit par Eknath Easwaran. Chaque chapitre est commenté par Stephen Ruppenthal.
D’après Easwaran, s’il ne fallait retenir qu’un texte parmi l’ensemble de la tradition bouddhique, ce serait ce petit livre écrit en langage simple par les premiers disciples du Bouddha (ou Bouddha lui-même, on ne sait).
Je comprends, par la lecture des commentaires et de quelques recherches sur Internet, que s’il avait atteint la Compréhension profonde, le nirvana, Bouddha fut poussé à enseigner et à ne pas fuir dans un silence bienheureux. Il était porteur d’une voix médiane. Bien que le chemin demeure tortueux, et que le nirvana soit quasi impossible à atteindre (beaucoup d’appelés, peu d’élus), ce grand mystique était optimiste.
On connaît tous un peu vaguement la vie de Bouddha. Issus d’une famille royale, on faisait tout pour épargner au jeune prince le contact avec la réalité misérable de son peuple. C’est que les prêtres avaient prédit que Siddhartha Gautama deviendrait soit un grand roi, soit un grand mystique.
Or, vers l’âge de 29 ans, curieux d’un monde qu’il ne connaissait pas, Siddhartha décide de s’aventurer hors du palais. À chacune de ses promenades, il découvre la réalité du monde. Tout d’abord un vieillard, puis un malade, ensuite un cadavre et finalement un ascète. Le choc est existentiel. Le prince comprend qu’il ne connaît rien de la réalité. Il renonce rapidement ses richesses, quitte son épouse, se coupe les cheveux et part à la recherche d’un guide.
Six années plus ou moins fructueuses s’ensuivent durant lesquelles Siddharta se bute aux extrêmes de l’ascèse rigide. Finalement, vers l’âge de 35 ans, sous un arbre, après une méditation profonde, il vainc Māra (les passions) et réalise les Quatre Nobles Vérités et la cessation du saṃsāra. Il devient le Bouddha.
Bouddha enseigna par la suite pendant près de 45 ans avant de s’éteindre paisiblement, encore une fois sous un arbre, à l’âge de 80 ans.
Quelles sont les quatre vérités découvertes par ce sage ?
Toute existence engendre une insatisfaction : naissance, vieillissement, maladie, mort ; mais aussi le fait de ne pas obtenir ce que l’on veut, ou de perdre ce que l’on aime.
Cette souffrance provient de la soif, du désir de s’agripper, d’exister ou de ne pas exister.
Lorsque la soif s’éteint, la souffrance cesse : état de paix et de liberté intérieures.
Il existe un chemin, octuple, pour comprendre cela: vision juste, intention juste, parole juste, action juste, moyen d’existence juste, effort juste, attention juste, concentration juste.
Nous sommes dans l’Inde ancienne et millénaire. Le concept de réincarnation est ancré dans les esprits. L’atteinte du nirvana ne peut se faire à l’intérieur d’une seule vie et il faut plusieurs retours afin de compléter l’ascension aride vers la plénitude. Quoi qu’il en soit, bien qu’enraciné dans cette tradition, l’enseignement du Bouddha demeure dans la lignée de ce que l’on appelle la Sagesse pérenne.
« La Vérité est une, les sages la nomment de plusieurs manières. Elle est présente dans toutes les religions authentiques. Elle enseigne que l’homme est capable de connaissance immédiate de la Réalité divine, et que le but de la vie humaine est de parvenir à cette connaissance. » — Aldus Huxley, La Philosophie éternelle. 1945
Cette philosophie pourrait se résumer ainsi:
Il existe une réalité unique, immanente et transcendante. On l’appelle Dieu, Brahman, Tao, le Vide, le Réel ultime — toutes les traditions évoquent une source au-delà du monde phénoménal, non duelle, indicible, mais connaissable par l’expérience directe.
L’être humain possède en lui une dimension divine — C’est l’idée de l’âme, de l’atman, du Soi — cette étincelle intérieure qui participe à la réalité divine. L’être humain n’est pas séparé de l’Absolu ; il l’a simplement oublié ou voilé.
Le but de la vie humaine est la transformation intérieure — Ce que les traditions appellent éveil, salut, illumination, libération est un processus de retour à la Source, de purification, de dépassement de l’ego, de redécouverte de l’unité.
Il existe une voie spirituelle, une discipline de l’âme — vie éthique, contemplation, méditation, amour désintéressé.
Tout comme avec les Upanishads, on lit le Dhammapada en ressentant autant sa couleur ancienne que sa prégnance contemporaine. Ce qui a été écrit il y a de cela des millénaires paraît toujours aussi pertinent et nécessaire.
On peut demeurer insensible à l’hypothèse de la réincarnation; il apparaît cependant irraisonnable de s’éloigner du Grand Questionnement.
Même la science semble revenir à un essentiel mystérieux sans pour autant délaisser ce qui est dorénavant acquis. Bouddha n’a peut-être pas calculé l’existence des trous noirs, mais il les a peut-être ressentis. Cela demeure un mystère que seuls les mystiques pourraient révéler… ou décider de ne pas le faire, car la compréhension de ces réalités se passe sans doute de mots.
Tout est esprit, comme l’enseignent les Upanishads, ce qui expliquerait pourquoi les voyages par LSD ou par champignons ont eu tant d’influence chez les gens qui ont absorbé ces substances. Nous serions aveuglés par la lumière de nos sens alors que la réalité se cache pourtant derrière une mince paroi de verre translucide. N’aurions-nous qu’à nous pencher pour goûter à la manne de l’Éternité?
Il n’est pas étonnant que la douceur apparente du discours du prince Siddhartha Gautama ait tant inspiré. Bien sûr, tout n’est pas rose dans le monde du bouddhisme. Puisque ce ne sont que des hommes et des femmes qui ont reçu son enseignement, ses paroles ont mené à autant de bonheurs que de malheurs, autant d’humbles gestes que d’extravagantes atrocités. L’immaturité est le lot de ceux et celles qui portent la robe, l’armure ou la couronne du pouvoir. On a vu cela dans tous les courants philosophiques, mystiques et religieux.
Cela n’enlève rien à la justesse de la Parole.
De mon côté, je continue de lire. Je tente d’écouter, prisonnier de mes faiblesses, entouré de mon corps qui s’affaiblit. Je ne prétends nullement être sage. Je crois être encore trop peureux et poète. Je ne sais où je me situe dans l’échelle des réincarnations, si cette échelle existe. J’aurais plutôt tendance à penser que la réalité n’englobe pas seulement ces minuscules bulles que sont les âmes humaines. Il existe, aux tréfonds des océans, des animaux faits de silices et de verre, quasi immobiles, fixés depuis des millénaires à leur rocher et se nourrissant des sédiments de nos cadavres. Possèdent-ils une conscience qui leur est propre?
J’ose le croire. Mes suppositions sont mon espérance.
Ma lecture se tourne maintenant vers le troisième volet traduit par Eknath Easwaran : le Bhagavad Gita.
Ces lectures sont aisées, car les textes sont courts, commentés, pour ainsi dire guidés. On dit que, pour atteindre la sagesse, il suffit de côtoyer un maître. Bouddha a cependant nuancé la chose. Le maître peut être son propre travail intérieur.
Va pour l’écoute de mon propre silence, fixé à mon rocher, à me nourrir de quelques idées perdues, délaissées par mes neurones.