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Du sentiment

7 février 2013

Je lisais ce matin une de ces maximes que se plaisent à disséminer les disciples de Facebook et qui enjoignait chacun à exprimer ses sentiments, car la chance de le faire pourrait ne plus se produire. C’est un fait, économiser son eau ne nous prémunira pas de la soif ; celle-ci est imprévisible.

Les romans dits modernes ne parlent souvent que de ça, de la délivrance des sentiments, de la reconquête de ses châteaux et domaines, de l’épanouissement intérieur ou de tous les contraires. Les drames à résoudre dansent en rond autour de l’individu castré, obnubilé depuis un siècle aux idéaux romantiques.

L’importance qu’on accorde au sentiment et à son expression individuelle est telle que les discours politiques, même ceux dont le thème gravite pourtant aussi haut que la stratosphère de la nation, se doivent d’aborder cette liberté unitaire. Sans l’épanouissement de l’abeille, il ne pourrait y avoir de ruche.

Soit. Le problème ne vient pas tant de l’individu ou de la société, mais de la faillite du dialogue. Quand les hommes vivront d’amour, disait le poète, il n’y aura plus de misère.

Est-ce que l’espèce humaine en est à ce stade de déséquilibre qu’elle ne sache plus faire la part des choses ? Pourquoi ses individus n’acceptent que sur le bout des lèvres de plier leurs humeurs à celles d’autrui ? Nous vivons trop en adulte, et ce, à un âge précoce, avant même de comprendre ou de contrôler, bien souvent, nos jouissances. Nous ne partageons plus rien, ou si peu, ou mal, car personne ne semble être en mesure de proposer une morale commune. Voilà sans aucun doute la genèse des drames, voilà pourquoi on se complait à écrire ou à jouer des tragédies, voilà pourquoi on hurle de plus en plus fort. Nous devenons ces tonneaux qui se vident et qui, du même coup, finissent par sonner plus creux et fort. Exprimer son sentiment ne peut se faire sans l’écoute de la musique produite par les autres, sans la compréhension du monde qui nous a créés et nous habite.

Et pour y arriver, un peu de silence dans nos cœurs s’impose. Non pas qu’il faille se taire, mais davantage accepter de jouer le gentil jeu des alambics, de la distillation de nos eaux de vie.

Sans vases communicants, point d’ivresse.