Mon père vient de m’annoncer la nouvelle. Sa mère centenaire a rendu l’âme cette nuit, vers 2 h 30. Elle n’aura donc pas voulu affronter les grandes chaleurs de l’été.
Elle fut de ces Québécoises œuvrant à la ferme, qui aura élevé ses enfants en même temps qu’elle aura administré une ferme, soigné ses vieux, une femme qui aura, finalement, trimé dur.
Une femme fragile tout de même, légèrement anxieuse, et qui, à la fin de ses jours, prenaient de la morphine pour tuer un cheval. C’est dire sa force de caractère et son goût de vivre. Fière, belle, toujours prête à rire, malgré son petit air secret, voire distant.
Mon père l’a accompagnée hier. Elle luttait contre son masque à oxygène. Mon père l’enjoignit de se reposer, mais elle rétorqua qu’elle avait de la visite ! Elle eut donc toute sa tête jusqu’à la fin, aura pu dire adieu.
De mon côté, je ne peux pas dire que j’étais très intime avec elle. Je suis de l’époque où avouer son homosexualité ne se faisait pas, encore moins à sa grand-mère. Je suis d’un naturel peut-être aussi distant qu’elle après tout. Je ne le connaissais donc plus beaucoup et son insistance toute naturelle à me demander annuellement si j’avais une amoureuse ne fit qu’augmenter ce malaise discret en moi qui vous éloigne plus qu’il ne vous rapproche.
Cela a très peu d’importance. Je l’aimais bien, Germaine. Comment ne pas l’aimer ?
Ce qui me touche le plus en ce moment est la voix de mon père ce matin. Il a 78 ans. Il avait dans sa voix une tristesse silencieuse rarement exprimée, celle du petit garçon devenu vieil homme et qui perd sa mère. Mon père l’appelait presque quotidiennement depuis nombre d’années. Jacques s’est toujours occupé de ses vieux. Il allait voir, par exemple, son beau-père quand il était de passage à Arthabaska. Jacques aime piquer des jasettes. Je peux être un grand parleur moi aussi, quand je m’y mets.
J’ai donc entendu la voix de mon père ce matin. C’est tout dire le silence d’amour qui s’exprime, chez moi aussi, envers Irène et Jacques, mes parents. Oh, je le leur dit souvent, mais le véritable amour, celui qui pousse nos veines, ne s’exprime pas. Il est tribal et serein.
Adieu Germaine.