Elle a tissé sa toile devant la fenêtre de la cuisine, effrontément sur mon balcon, ancrant son filet sur trois blocs de béton qui traînent là depuis deux saisons.
Immobile toute la journée, il me semble, mais elle doit bien bouger puisque, parfois, elle disparaît. Des chats se promènent aux alentours, mais elle a l’air de n’y prêter aucune attention. Il a venté très fort la semaine dernière. Qu’à cela ne tienne. L’araignée n’a pas levé une seule patte, bien arrimée malgré les fortes secousses. Le tout a tenu le coup.
J’ai fait mes recherches. C’est une épeire diadème. Ça ne vit qu’un an. La femelle n’est féconde que durant quatre jours. Les mâles peuvent l’approcher, mais à leur risque et péril, en offrant à la convoitée de la nourriture pour la distraire. Mais ils se font souvent bouffer une fois faite leur besogne de reproduction.
Fécondée, la femelle ira pondre dans un cocon placé dans le creux d’un arbre ou, comme il y en a beaucoup chez le voisin, dans la boîte à compost. Elle ne survit pas à ce travail.
L’insecte est inoffensif, mais j’avoue que la taille de ce spécimen est impressionnante. Cela peut-il annoncer un hiver particulier ? Ce n’est pas la première araignée de la sorte que je vois depuis que j’habite dans cette maison, mais c’est la première fois que j’en vois une aussi grosse ; elle fait, dans sa longueur, trois bons centimètres.
Sa longue toile est aussi remarquable, d’autant qu’elle ne dure en principe qu’une journée. L’araignée est réputée reconstruire son filet tous les jours. J’en doute pour celle-ci, car la toile me semble identique, parfois brisée, mais réparée le lendemain.
Quoi qu’il en soit, la bête disparaîtra et l’une de ses filles viendra peut-être reconstruire au même endroit, l’automne prochain, sa toile.
Chaque matin, je m’assure de la présence de l’insecte. Son temps passera, bien sûr, comme toute chose. Moi aussi, tous les jours, je tente de retisser ma toile, pas aussi diligemment que l’insecte, certes. C’est que je rêve beaucoup, même les yeux ouverts, et les rêves, on le sait, n’aiment pas trop qu’on les attrape. Les heures conscientes n’ont rien à faire des rêves-chats. Elles tissent, mangent, captent, dévorent, préparent leur cocon dans l’espoir sans doute que quelque chose survivra de leur mandala éphémère.