La vie est absurde.
-- Pardon ?
Louis se tourne vers son interlocuteur qui attend comme lui l’arrivée du métro. Il a la peau blême, les cheveux joliment bouclés, un regard bleu, triste, fixé sur la profondeur du tunnel qui vrombit. Louis veut lui sourire, car il le trouve beau, mais l’homme ne s’adresse visiblement pas à lui.
-- La vie est absurde. Je ne crois pas en Dieu.
Interloqué, Louis essaie de trouve une réponse intelligente, mais l’arrivée du train est imminente et les gens s’organisent autour des marques de positionnement inscrites sur le plancher. Louis les imite. L’étranger ne bronche pas. Louis lui saisit doucement le coude afin qu’il dégage le centre des marques. L’homme sursaute, le toise, se dégage, tourne les talons et disparaît.
Le train surgit du tunnel, passe devant eux, puis ralentit. Déjà les portes s’ouvrent, les passagers en sortent, ensuite ceux qui attendaient s’y engouffrent civilement. Louis, encore une fois, les imite. Avant que les portes ne se ferment, il aperçoit l’homme au regard désespéré assis dans les marches, incommodant tout le monde. Il attend sans doute le prochain train, s’interroge Louis, espérant que personne ne l’empêchera de commettre l’irréparable.
Trois notes mécaniques annoncent le départ. Les portes se ferment. L’irréparable ? Le train défile déjà à toute allure, l’horizon des passagers se bute dorénavant à la présence des autres. Plusieurs ont le regard fixé à l’écran de leur cellulaire.
L’irréparable, Louis aussi y pense parfois, mais il ne s’agit pour lui que d’une pensée. L’homme sur le quai paraissait s’en nourrir. Louis ferme les yeux, se laisse bercer par le voyage. Le train ralentit, une voix sûre d’elle-même annonce le nom de la station. Les portes s’ouvrent, le manège recommence. Louis s’attend à ce qu’on arrête le service. Les portes se ferment de nouveau, le train repart, et rien ne vient déranger la quiétude des passagers.
Louis les observe. Il en a l’habitude. Une place se libère et comme aucune vieille personne, aucun handicapé ne semble réclamer le fauteuil, il s’y assoit. Son corps dort encore. Il a faim, n’a pas pris son petit-déjeuner, car c’est jour de prélèvement sanguin. Il déteste cette routine annuelle qui lui rappelle qu’il vieillit et que, un jour ou l’autre, on lui annoncera des complications inattendues.
Un vieillard entre dans le train. Louis se lève pour lui laisser sa place, mais l’homme lui fait un signe fier qu’il n’en a pas besoin. Malgré son âge, il n’a en effet aucune difficulté à se maintenir en équilibre pendant que le train redémarre. Louis se lève tout de même, car il sort à la prochaine station.
Maintenant il se dépêche parmi les gens qui se dépêchent. Au sortir de la station, plusieurs s’engouffrent dans des autobus et d’autres, comme lui, se dirigent vers l’hôpital situé en face.
En poussant la porte-papillon, le souvenir de l’homme triste refait surface. La vie est certes absurde. Louis ne croit pas plus en Dieu. Mais il a faim. Vivement qu’on lui prélève son sang, qu’on en finisse. C’est avec détermination, et aussi colère, qu’il se présente à l’accueil. La dame, devant lui, lui sourit en acceptant sa carte d’assurance-maladie. Elle lui demande d’aller s’asseoir. L’attente est d’environ une heure.
Il maugrée, mais la remercie. Il n’a, de toute façon, pas le choix. La salle d’attente est déjà presque pleine. Il repère une chaise libre entre un gros monsieur et un bel homme. Deux autres chaises encore là, et autour, des dames qui placotent entre elles. Il opte pour la présence du bellâtre qui ne le salue pas.
Il prend le temps de s’acclimater à sa chaise, regarde pendant trois longues minutes l’horloge de la salle, placée au-dessus de l’entrée, l’aiguille des secondes est beaucoup trop lente, selon lui. Son ventre gargouille.
Le bel homme, à sa droite, se tourne vers lui :
-- Moi aussi, j’ai faim.
Louis lui sourit faiblement, puis reprend son observation de l’aiguille des secondes trop lentes. Il respire à fond, tente un regard latéral vers le bel homme, se replace bien droit dans sa chaise, s’éclaircit la voix pour se donner du courage.
-- Dites-moi, réussit-il à dire, vous croyez en Dieu ?