Le bon petit peuple, les poètes le honnissent. Ils ne lui trouvent aucune couleur autre que celle de l’indifférencié et de la misère crasse. Ces petites gens leur sont prétextes à clamer l’ingratitude du destin, le tragique de la condition humaine. Pour ça, le bon petit peuple est grand à vivre ainsi son destin proche du néant.
Le bon petit peuple, les politiciens en usent. Ils le vêtent de la grande chape de la démocratie, lui permettent d’ouvrir la bouche une fois tous les quatre ou cinq ans et, bien que ce jeu soit dangereux pour leur avenir, s’auréolent d’avoir joué à la guerre du pouvoir. Les politiques sont grands, et on ne se souvient la plupart du temps que d’eux, de leur illustre nom, de leurs chevaleresques vacheries. Le bon petit peuple, c’est bien connu, a le dos large, les oreilles sourdes, la tête qui oublie rapidement. Fidèle comme un chien, muet comme une carpe, on l’envoie à la guerre quand il le faut, se promener quand il dérange, le fait rêver pour l’empêcher de penser.
Le bon petit peuple, les intellectuels s’en éloignent, les hipsters les caricaturent, les jeunes s’en rebellent un temps avant de fondre eux aussi, la trentaine assurée, dans l’homogénéisation. Ceux qui croient s’élever ont certes fière allure. Ils déploient leurs ailes, leurs hormones, leur insouciance avant que leurs ailes ne fondent inexorablement quand survient, l’éclair d’un instant, le feu de la vérité. Ils retombent et retrouvent alors le bon petit peuple qui, tel un océan noir de lave, les absorbent, les brûlent, parfois les dévorent.
Le bon petit peuple est bien sûr tout ça. Il n’est en effet pas grand-chose. Une grosse machine à procréer, une bête roue existentielle qu’on apprend à aimer et à injurier. Un rocher, une montagne absurde. Et, à bien y réfléchir, les poètes, les papes, les policitiens, les intellectuels, les hipsters et les jeunes ne sont pas davantage, ils ne font pas mieux. Tous des menteurs, tous des bornés, des obnubilés, tous des apeurés, des innocents aux mains trop pleines, des fous et des inconscients.
Moi, le poète qui présume de tout, je vous le dis. On ne rend pas compte que l’Histoire, celle née avant même que la nôtre ne débute, s’écrit depuis des trillions et des trillions d’années-lumière. Elle se déroule d’ailleurs au-delà de la lumière, de cette invention grandiloquente que la race humaine ose appeler Dieu.
On ne peut en vouloir au bon petit peuple d’être ce qu’il est. Il est certes imbécile. C’est évident, la foule est idiote. Alors que dire d’un peuple tout entier.
Il n’existe plus personne pour le guider, plus maintenant en tout cas. Personne ne sait, tout le monde fait semblant de savoir. Faut donc excuser les ignares, car le ciel autant que l’enfer leur appartient.
Alors ? Rien et son contraire. Dans ce lot d’incongruités, il y a évidemment les bons scientifiques, les poètes inaltérés, les politiciens dévoués, les prêtres silencieux, les mères et les pères fidèles, les enfants passionnés, le bon petit peuple serein, le ciel azur, le calme néant.
Tout est possible quand on y pense. Tout est possible. Même le bonheur.