Le crépuscule déjà, l’automne déjà. Lorsqu’on marche avec l’horloge du ciel, l’ordonnancement des choses nous semble normal sans être ni troublant ni pacifiant. Je sortais de mon cours de chant, j’ai regardé le soleil qui n’était déjà plus qu’une lueur sur un nuage lancinant, peut-être annonciateur de pluie.
Le cours de chant, comme d’habitude, fut révélateur. Il me transforme, sculpte patiemment ma voix ou les passions. Cette fois où le crépuscule m’attrapait, mon professeur avait voulu que je m’extériorise sur une mélodie de Tchaïkovski. « Je pioche sur le piano pour te pousser plus loin. » J’avais bien compris son intention et j’ai tenté, tant bien que mal, d’être cette âme tourmentée de l’amant bafoué que le compositeur avait si simplement et puissamment ciselée.
Mais voilà, à cinquante-sept ans, j’ai du mal à vivre ce type de passion romantique et biblique. Je peux comprendre que l’âme se plaigne, je peux également très bien accepter les raisons qui poussent Job à défier Dieu. Après tout, le désordre nous fait peur. Or, mon incompréhension est sans doute ailleurs. Je ne sais.
Avant que je dérive vers le chant, mon projet en écrivant aujourd’hui était plutôt de discourir sur le chaos. J’ai certes dérivé, mais je le fis à escient. J’ai visionné ces jours-ci un documentaire de la BBC, The Code, présenté par le mathématicien Marcus du Sautoy.
La série révèle un code numérique caché qui sous-tend toute la nature. La série se compose de trois épisodes, qui explorent la façon dont le monde qui nous entoure est conforme et peut être expliquée par des codes mathématiques. Le premier épisode “Numbers” révèle comment les nombres significatifs apparaissent partout dans le monde naturel. Le deuxième épisode “Formes” découvre les motifs cachés qui expliquent la forme du monde qui nous entoure. Et le troisième et dernier épisode “Prediction” regarde le monde bizarre de ce qui se passe ensuite.
(Source)
Tout comme ce professeur au nom français et pourtant très british, j’ai toujours été fasciné par la géométrie, les mathématiques. Je ne suis pas scientifique pour deux sous et c’est une raison pourquoi je reste attaché à une forme d’astrologie que des cerveaux plus sensés rejetteront.
Le deuxième épisode de cette série est particulièrement intéressant. Pourquoi les alvéoles des abeilles sont des hexagones ? Pourquoi le sel forme des cubes ? Pourquoi les dunes sont gouvernées par le nombre PI ? Pourquoi les bulles se joignent si aisément ensemble par des parois planes ?
Je suis d’autant friand de ces réponses que ma propre vie est une forme de chaos plus ou moins persistant. Ce chaos est décrit dans le troisième épisode. Comment retrouver un tueur en série par la seule mathématique des emplacements de ses crimes ? Comment une foule arrive à deviner avec une précision de 1 % les quantités de jujubes dans un bocal ?
Nous, les petits atomes d’une existence chaotique, participons à la métamorphose du temps. Il me plait de considérer les relations humaines de la même façon. Deux êtres se touchent, ils chercheront le point d’ancrage le plus économique, une paroi commune. S’ils doivent élargir le cercle, ils adopteront une autre stratégie, une autre géométrie. Tantôt il en résulte des alvéoles bien construites et stables, tantôt la foule devient trop dense et notre destin nous échappe alors entièrement, notre intelligence n’étant devenue qu’un synapse relayeur et passif.
Je continue de marcher, à regarder la construction du monde. Mon existence n’est pas une ligne droite, elle est gouvernée par l’effet papillon de mes gestes et de vos gestes, de la météo, des chemins, des équations mathématiquement naturelles et bien pensées.
En arrivant près du métro, mon regard s’est attardé sur le court de tennis illuminé en ce début de soirée fraîche. Subjugué par la beauté de l’endroit, j’ai sorti mon téléphone afin de capter la paisible symétrie du moment.
Je continuerai à marcher, car j’ai faim d’ordre dans ma vie toute en prières.