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Le jeune fou

13 février 2016

Je pourrais dire que, sans vergogne, je lui aurais donné le bon Dieu sans confession. Je l’aurais sans doute aussi pris rapidement dans mes bras. Il est l’un de ces visages qui m’attirent, qui émeuvent mes désirs et mon envie folle d’avoir quelqu’un auprès de moi.

J’en connais beaucoup de ces âmes, de ces humains, jeunes ou vieux, imberbes ou amaigris par la vieillesse. Ce sont des hommes, un espoir pour une paix que je revendique. Une chimère certainement, car, jusqu’à maintenant, ce que j’ai touché et aimé s’est envolé, ne m’est pas resté collé à la peau comme on se les raconte dans les livres et les mythes, comme on se les serine à la télévision.

Celui-là, en ce début d’après-midi glacial, était assis près de la porte du train. La vingtaine peut-être à peine entamée, cheveux bouclés à la manière de Nelligan. J’aurais en effet juré qu’il s’agissait de Nelligan. Les yeux tendres, fiévreux, le visage perdu, parfois nourri par un rictus provenant soit d’une idée saugrenue, soit d’un rêve de schizophrène. Sans véritable muscle, un jeans trop court qui laissait entrevoir des chevilles de marionnette.

De temps en temps, son regard rencontrait le mien sans pour autant s’attarder sur moi. Mais durant ces instants, je pouvais admirer ses traits équilibrés, ses iris ronds d’opium, sa barbe d’une virilité malhabile. J’y voyais un homme, une force qui ne semblait pas pouvoir tenir la route.

D’ailleurs, ses profils, tant le gauche que le droit, ses profils que je pouvais observer souvent car son visage ne restait pas en place, ses n’étaient pas aussi bien conçus que sa façade hagarde. Je le répète, je l’aurais pris dans mes bras, ce fou, probablement, cet enfant-homme blessé par une possible tare. Je l’aurais amené chez moi et l’aurait placé dans mon lit, non pas pour usurper sa chair, mais seulement pour me coller à lui et me rappeler de la chaleur de l’innocence houleuse d’une jeunesse émotive et perdue, celle qui languit dans mes souvenirs, que j’ai laissé filer comme vous tous qui tissez votre laine, vos existences sur des métiers grinçants.

J’en rencontre souvent de ces hommes. Ils sont des ondes plantant sur les eaux de la vie. Je ne connais rien d’eux, rien de leur salive, encore moins leur fièvre. Et si je pouvais tous les connaître, ma soif en serait-elle pour autant conquise? Se poser la question est y répondre. Et y répondre, c’est vouloir continuer à boire et à croire.