Je suis loin d’être calme, englué dans une longue respiration comme si, devant moi, l’horizon se dilatait d’une catastrophe annoncée. Mes yeux, fatigués, ne souhaitent que dormir, filets aux mailles distendues et molles. Tout va bien, madame la Marquise, tout va vraiment très bien, de quoi devrais-je vraiment me plaindre?
Je ne sais pas. Les jours sont remplis, j’en oublie d’écrire, les choses à faire se bousculent dans mon agenda. Je ne m’en formaliserais pas tant si ce qui me tire si haut n’était pas obstinément bloqué par ce qui m’enracine.
Ma carte du ciel, grande savante, me l’avait bien dit. Pour le moment, je suis piégé, je nage dans une masse solide, peu propice à la liberté. Je réussis encore à flotter malgré des contraintes budgétaires qui n’en finissent plus de contraindre, malgré le mauvais sort jeté à mon entourage qui fait sourciller les banques, malgré ce bonheur accroché à l’Internet, dans l’espoir qu’un jour, le beau cerf-volant navigue sous le même ciel.
Je ne suis pas malheureux. Mais comme le pas est long, lent. Je marche tout de même mes jours, je ressens ces poumons me bercer telle une mère attentive. Il doit bien y avoir un peu d’espoir qui manigance tout ça. J’écoute, observe ce qui m’entoure. J’enregistre, peut-être encore plus finement que d’habitude, l’étonnante manifestation de la vie, de l’univers.
Mais j’ai ce mur, devant moi, ce rideau. Je ne parviens plus à inventer mon avenir. Cela se traduit même au niveau du chant. J’ai atteint quelques sommets, j’ai libéré ma voix. Cependant, tout craque ces jours-ci. Et l’opéra italien n’est pas la meilleure mélodie à chanter. Je m’époumone, plus criard qu’un canard.
Je prie mes ancêtres, je laisse tomber la nuque, sans autre parole que cette ombre que me renvoie ce mur d’incertitudes.
Tout va très bien, madame la Marquise, tout va très bien. C’est le propre de l’optimiste de patauger dans l’inconscience. Le Paradis lui est promis, il paraît. Quoi dire de plus? Rien. Je fais de ce mur celui de mes lamentations. Qu’il en soit ainsi.