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Le printemps, lentement

11 mai 2014

Le printemps, tout lentement, arrive à ses fins. L’hiver a étiré sa guimauve pluvieuse et froide jusqu’à ce que les arbres, tout de même, ainsi que les jonquilles, les crocus, les mouches, et quoi encore, réussissent à clamer leur aire de jeu.

De mon côté, la saison froide semble persister sur mes espoirs de voir les choses avancer. Le livre est aux mains de l’éditrice, les finances demeurent fragiles. Tout résiste, tout est à flot. Je suis entouré d’amour et d’amitié, j’ai un bon job, je persiste à suivre des cours de chant. Rien donc à signaler si ce n’est que mes heures sont un constant lâcher-prise. Les choses arriveront bien quand il le faudra, c’est-à-dire quand personne ne le décidera. Mon cœur est calme et tourmenté, comme à son habitude, ma vision en broussailles, mes yeux fatigués.

Quoi dire d’autre ? Que je marche toujours pour me rendre à l’ouvrage, que la mouvance des arbres imprègne mes sens, que ma propre respiration me chante les marées de l’existence. Parfois, quand je prends le métro, l’autobus, je regarde les gens qui ne me regardent pas, occupés à ces autres réalités qui forment le jardin de leurs heures.

Nous sommes si nombreux à vivre et à ne pas nous connaître. Quand je discute avec des hommes, sur Internet, je ressens la même sensation du vivant, certes souvent plus crue et directe, puisque sur ces réseaux, le sexe est dans toutes les conversations, les bouches, les oreilles. Je m’étonne alors de la grande différence de niveau, entre ces hommes en rut d’amour et d’amitié et ces gens, dans le métro, si silencieux et opaques.

Mais il s’agit tout de même du vivant, ce grand mystère qui m’échappera bel et bien un jour, quand je ne m’y attendrai peut-être pas, comme il en fut ainsi pour cette pauvre jeune femme sur sa bicyclette, comme il en fut ainsi pour tous ces gens qui ont peuplé l’histoire humaine et qui la peupleront bientôt.

Mon cœur bat. J’entends son écho sur les parois de mon étroite suffisance. Mes rêves, ô mes rêves sont si libres dans mes nuits. N’est-ce pas là notre plus grande frustration ? Que, dans l’imaginaire, tout est possible, voire éternel ? Je me discipline à conserver l’espoir de l’extase. Et j’essaie de rêver constamment. Quand je marche, quand je dors, quand je travaille, quand j’ai peur, quand j’oublie. Personne ne peut vivre à ma place, personne ne peut crier dans cette caverne où je suis né, où je mourrai.

Heureusement que nos consciences possèdent le sonar des chauves-souris. Ainsi peuvent-elles voyager dans ce monde où toi, lecteur, lectrice, voles tout aussi aveuglément. Nos rencontres sont possibles.