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Le temps en moi

17 janvier 2023

L’hiver a fini par reprendre ses droits, même s’il a paru se trainer les pieds, cette année, avant d’annoncer ses frigides couleurs. Durant mes vacances plus longues que d’habitude – je n’avais pris aucun congé durant l’année–, le temps fut plutôt à la pluie, les températures vivotant entre l’automne et les bourrasques.

Ce matin de mon retour au travail, le froid ne faisait pas dans la dentelle, transperçait littéralement les os, car personne n’y avait été vraiment confronté depuis novembre, du moins dans cet enclos humide qu’est l’île de Montréal.

Un soleil étincelant, un vent franc, direct, vous regardait droit dans les yeux afin de bien vous faire comprendre que vous n’aviez de choix que de grelotter.

Cela ne m’a pas empêché d’entreprendre le trajet à pied vers le bureau. C’est après tout le seul exercice que je fais à part quelques étirements yoguiques.

C’était il y a déjà sept jours. J’en suis à mon second lundi au travail. Mes trois semaines de vacances ont été bénéfiques. J’en ai profité pour terminer une fois pour toutes certains travaux de rénovation qui trainaient depuis plusieurs années, un pourtour de fenêtre, un plafond éventré par de précédents travaux d’urgence au toit, et même un meuble télé, fait maison.

Des tâches manuelles bienvenues, hors des cliquetis acides et préoccupants du cerveau qui auront imprégné sur mon corps un sentiment bienheureux d’une fin en soi.

J’ai dit à la blague à mon entourage que je pouvais maintenant vendre la maison, ayant d’une certaine manière franchi un étape, être arrivé à un but.

La drôlerie cache peut-être un malaise. Mon regard atteste du travail accompli et du bien-être que l’appartement me procure dorénavant. Le hasard et la chance m’ont d’ailleurs permis d’acheter une belle table et des chaises pour remplacer de vieux meubles dépareillés.

Pourtant, au lieu de profiter vraiment de cette finalité, une fébrilité à peine contenue m’angoisse, me rappelle qu’il ne faut pas aussi vite baisser les bras, qu’il me faudrait continuer, passer à autre chose, comme si terminer ne faisait pas partie de mon vocabulaire, comme si mourir ne pouvait pas être la suite logique de l’existence.

C’est bien moi, confronter mon succès à la Grande Noirceur, admirer la lumière mais aussi l’Ombre qu’elle produit.

Au lieu de m’asseoir, je reste debout avec une volonté de jeter ceci et cela, de faire table rase, de vider des fonds de tiroir poussiéreux et préhistoriques, de me débarrasser de photos d’un passé révolu et inutile, de donner, de transmettre à un suivant plus jeune.

Trop d’objets dans cet appartement confortable.

Oh, il y a encore à faire d’autant que la maison auront besoin de nouveaux balcons, d’un rafraîchissement du toit. Quand on possède, il faut se soumettre aux diktas de l’entretien. Les choses sont plus éternelles que nous. Elles ont leur revanche.

Un pressentiment rôde autour de moi, prenant probablement sa source aux soixante-quatre ans que j’aurai bientôt.

Pour beaucoup, cela sonne l’heure de la retraite. Je ne sais trop ce que cela peut représenter pour moi, n’ayant pas la fortune nécessaire pour conserver mon confort actuel qui, je le sais bien, est relatif à ce que l’on fait de son présent et de son argent.

Certains signes ne trompent pas, tant au travail que dans ma vie personnelle. Ils annoncent un lent mouvement tectonique se faufilant sous l’enchevêtrement humble et terrestre de ma vie.

L’hiver a pris sa place dans la ville et ma peau veut pourtant se débarrasser de son ancien plumage, l’écorce de mon corps s’ouvre pour tenter quelques nouvelles branches ultimes et hâtives. Est-ce vain ou nécessaire? J’aurais tant à dire sur ce qui a déjà été maintes fois écrit. Je ne suis pas original dans mon vieillissement.

Il est 21h30 et je m’endors. Je rêve beaucoup par les nuits qui courent. Mon inconscient me dicte ses volontés avec toute la maladroite sagesse de ses symboles et de ses images.

Si l’hiver revendique ses droits, le temps en moi exige mon attention cyclothymique.

Le temps en moi…

Du sable solitaire dans un entonnoir fragile et de verre.

Je retourne à mes rêves, car demain l’horloge des autres reprendra aussi ses droits dans l’engrenage de mon destin.