Je discutais avec un ami d’une belle pièce que nous apprenons à la chorale. Je lui disais que le texte mis en musique était de Rilke.
-- Rilke ? me demande-t-il.
-- Oui, Rilke, le poète.
Devant sa mine dubitative, j’ai compris qu’il ne le connaissait pas. Et pour être honnête, moi non plus, pas trop. J’ai bien lu, je crois, durant mes cours à l’université, ses Lettres à un jeune poète (qu’il me faudra relire, sans doute, j’en ai besoin). Bref, de Rilke, je sais peu de choses, mais je connais son nom.
Si on arrivait à faire la somme de toute la beauté écrite, chantée, filmée de ce monde, on réaliserait vite qu’on en connaît encore moins qu’on le croit. Il suffit de rappeler que le vieux Bach n’eut sa véritable heure de gloire qu’à la fin du XIXe siècle, alors que les vers l’avaient depuis longtemps digéré, pour comprendre qu’il est vain de s’accrocher à l’avis des autres, de s’essouffler à la comparaison ou s’exténuer à colmater les failles de son orgueil.
Qui, d’entre nous, connait un tel, une telle ? Le dernier prix du Gouverneur général, vous avez lu ? Et cette poétesse japonaise de tel empire, celle qui influença cet autre bonze, vous vous en souvenez ?
Dans l’Hiver de pluie, une écrivaine, autrefois mon amie, décrit un écrivain raté, mortifié par le refus d’un éditeur. Elle me décrivait ou décrivait-elle un autre, cela n’a plus d’importance (c’était dans les années 90), me voyait, dans son avenir imaginaire, en pantalon de jogging, gras, un petit chien en bout de laisse.
J’ai eu du mal à me défaire de cette image, et aussi de la méchanceté du portrait de cette auteure qui a très bien réussi d’ailleurs, car c’est une femme qui sait nourrir son talent. Je crois d’ailleurs qu’elle voulait bien faire, à l’époque, puisqu’elle me trouvait fragile, qu’elle m’aimait, mais qu’elle considérait que j’étais trop facilement influencé par de mauvaises gens. Elle aurait voulu me protéger et j’ai refusé. C’est cependant une tout autre histoire. Je dérive. C’est ma dérive.
Je suis ici pour parler de la création. Elle peut servir à gagner sa vie et des prix. Elle peut ne servir à rien, sauf à nourrir la petite flamme qui lutte en soi. Déjà, c’est si beau de nourrir ses braises, et elles carburent à d’innombrables sources, pour différents usages. Le chaudron de l’humain contient une soupe dense, qui bouillonne, produit, empoisonne aussi parfois. Et lorsque la pitance est servie, peu s’en nourrissent ou peu s’en contentent. Nous passons à une autre assiette.
Il me faut demeurer poète. J’aurais pu devenir prêtre, pour lâchement rendre grâces sans effort et faire la morale à tout le monde. Je suis pourtant drogué de légendes et me fait des accroires. Je ne suis qu’un ver de terre à la tête dans les nuages.
J’ai longtemps été orgueilleux. Je le suis encore. Le serai sans doute jusqu’à la fin. Mais cela, c’est comme le reste, ce n’est, comme disait l’autre, vous le connaissez ?, que de la belle littérature.
Et je ne porte pas de joggings.