J'ai passé la semaine en compagnie de ma mère afin de l'aider dans plusieurs tâches. Elle casse bientôt maison et viendra habiter près de ses enfants. C'est une sage décision, elle le sait, mais combien déchirante.
On doit maintenant faire le tri de ce qu'elle conserve. Elle en a fait beaucoup depuis un an, s'est donné le temps de penser à la manière de changer le cours de sa vie. Ses enfants sont présents pour l'accompagner dans cette transition importante.
L'atelier de mon père à la cave était dans un semi-fouillis. Bien que la grosse machinerie ait déjà été donnée à un neveu – banc de scie, scie à ruban –, maman ayant vendu aussi ici et là des outils, l'établi était resté quasiment dans l'état où papa l'avait laissé. Quelques antiquités encore présentes iront à un beau-frère : une enclume et un étau datant d'avant papa.
Cet endroit, bien qu'exigu, avait été plus ordonné. Habile de ses mains, papa a toujours bâti, peinturé, rafistolé. Avant de monter jusqu'à devenir directeur de trois usines, il avait été ouvrier du meuble. Encore tout jeune, je l'accompagnais au sous-sol de notre maison de Victoriaville. Il y a fabriquait des meubles ou des cadres avec des motifs en bois. Je lui aurais dit, un jour, que tous ses outils seraient à moi quand il serait mort. Il m'aurait répondu: "Laisse-moi vivre, mais je te les donne, certain". Papa n'a pas cessé de me rappeler cet épisode tout au long de sa vie.
J'ai moi-même remodelé mon appartement acheté il y a quinze ans. J'avais alors acheté ce dont il me fallait. Je n'ai donc pas eu besoin de ses outils qu'il utilisait encore de toute façon.
J'ai donc jeté beaucoup de ferrailles dans l'atelier, me demandant ce qu'il fallait faire de tout ce qui y était rangé et qui pouvait encore servir. Tous ces tournevis (mon Dieu, pourquoi en avoir autant?), toutes ces égoïnes (dont deux datant de mon enfance), ces serre-joints, ces nombreux marteaux et des vis pour en regarnir une quincaillerie, et des bouts de papier à sabler qui auraient dû finir depuis longtemps à la poubelle!
Maman laissera vraisemblablement beaucoup de choses pour l'usage du prochain propriétaire de la maison. Bien que je fusse tenté de récupérer la vieille égoïne que j'utilisais durant mon enfance, je me suis dit que j'en avais déjà une. Évidemment, celle suspendue dans l'atelier est celle que mon père a utilisée toute sa vie. Elle semble encore bonne, à moins que je me fasse des idées. Déjà qu'une autre scie trône à ses côtés, quasi identique et peut-être plus vieille.
Sinon, que ferais-je de ce vieux coffre, pas du tout pratique, mais dont l'usure possède sa beauté, presque sa fierté? Et ce joli seau arborant délicatement sa bordure dentelée, ça date de quand?
En faisant ainsi le ménage, en rassemblant les pots de peinture que je savais, sans même les ouvrir, trop vieux pour qu'on puisse en faire quelque chose, je me suis silencieusement rappelé les mains de mon père posées sur tous ces objets.
Quand on casse maison, on ne brise pas pour autant ses souvenirs. Ceux-ci sont trop souples, se plient en même temps que l'on avance en âge. Le deuil est fait de multiples adieux murmurés au fur et à mesure que l'on gravit l'échelle des heures.
Lorsque viendra le jour du déménagement, je subtiliserai sans doute quelques objets de cet atelier. Ils ne serviront à rien, mais ils seront près de moi, tout comme l'est l'héritage de ce bel homme que fut mon père.