Les concepts de réalité et de temps sont profondément entrelacés, formant la base de la compréhension et de l’expérience humaines. Les deux sont façonnées par la façon dont nos esprits perçoivent et interprètent le monde qui nous entoure. Imaginons comment nous utilisons nos sens — la vue, l’ouïe, le toucher, le goût et l’odorat. Les informations recueillies sont invariablement acheminées et traitées par notre cerveau pour créer une image de ce qui se passe. Nous sommes comme l'aviateur pilotant à l'aveugle à travers un épais brouillard qui l'empêche de voir devant lui. Nous sommes comme les habitants de la grotte de Platon qui ne voient que des ombres bougeant sur les murs de leur prison.
Lorsque nous regardons un arbre, nos yeux captent la lumière réfléchie et envoient cette information à notre cerveau. Celui-ci traite ces données et crée/compare l’image de l’arbre. Cela nous permet alors, instantanément, car le cerveau est le dieu de notre réalité, de reconnaître l'arbre. Si, comme un enfant, l'arbre nous est étranger, nos écarquillons les yeux, respirons plus forts afin d'en connaître davantage.
Notre perception du temps implique quelque chose de similaire soit de remarquer les changements et les séquences d’événements, que notre cerveau organise en un flux cohérent, nous aidant à comprendre le passé, le présent et l’avenir. Tout est perception et fabrication, une construction mentale. Est-ce dire que la réalité et le temps n'existent pas? Loin de là.
La réflexion philosophique s’est longtemps penchée sur la nature de la réalité et du temps. Si les empiristes soutiennent que notre compréhension de ces deux concepts provient de l’expérience sensorielle et que par ce fait, le temps, les choses, leurs transformations sont indépendants de notre conscience de ceux-ci, les idéalistes affirment au contraire que la réalité et le temps sont fondamentalement des constructions mentales.
La science moderne a profondément modifié notre compréhension de la réalité et du temps. L’avènement de la mécanique quantique remet en question les notions classiques d’une réalité objective sans pour autant invalider celle-ci. C'est le grand paradoxe de l'avancée moderne en matière de compréhension du temps et de la réalité. Des phénomènes tels que la dualité onde-particule et l’intrication quantique suggèrent qu’à des niveaux fondamentaux, la réalité ne suit pas nos intuitions quotidiennes. Les observations en physique quantique peuvent altérer l’état du système observé, impliquant que l’acte d’observation est essentiel à la nature même de la réalité. Mais au niveau de notre quotidien, tout est tangible, réel. Qu'est-ce qui est vrai? Le monde infiniment petit intangible, construit par nos observations ou le monde "normal" découvert par nos sens?
Peut-être les deux après tout si on considère qu'après tout, la compréhension scientifique est faite de théorie, de jeux de la pensée, d'équations mathématiques susceptibles d'être constamment invalidées au profit de nouveaux construits, de nouvelles équations... La réalité joue au chat et à la souris avec nous. Le temps, aux dires d'Einstein, fait partie de l'équipe.
Il a proposé que le temps est relatif et entrelacé avec l’espace dans un continuum à quatre dimensions connu sous le nom d’espace-temps. Selon cette théorie, le temps peut être affecté par la vitesse et la gravité, conduisant à des phénomènes tels que la dilatation du temps, où le temps ralentit à des vitesses plus élevées ou dans des champs gravitationnels plus forts. Cela implique que notre expérience du temps n’est pas uniforme mais varie en fonction de notre mouvement relatif et de notre position dans l’univers.
De leur côté, les neurosciences explorent comment nos cerveaux construisent à la fois la réalité et notre perception du temps. Les entrées sensorielles sont traitées par le cerveau pour créer une expérience cohérente du monde et du passage du temps. Ce processus implique une interprétation active, influencée par nos attentes, nos souvenirs et nos émotions. Et de là à conclure que la conscience est une affaire de mécanique neurale...
Cependant, les perspectives culturelles façonnent également notre compréhension de la réalité et du temps. De nombreuses cultures indigènes considèrent le temps comme cyclique, en mettant l’accent sur l’importance des cycles naturels et des liens ancestraux. Les philosophies orientales, telles que le bouddhisme et l’hindouisme, perçoivent le temps comme un cycle de naissance, de mort et de renaissance, contrastant avec la perspective linéaire occidentale.
Tant la science que l'indigène puisent leurs réponses dans des raisonnements et un imaginaire fluctuant. L'un nous envoie sur la Lune, l'autre nous invite à accepter notre réalité mystérieuse.
Les concepts entrelacés de réalité et de temps sont centraux à la compréhension humaine, continuellement explorés et redéfinis à travers les prismes philosophique, scientifique et culturel. Les deux sont des constructions façonnées par nos processus mentaux, nos perceptions et nos interprétations. Bien que nos sens et nos cerveaux nous fournissent une expérience cohérente du monde et du passage du temps, ces expériences sont des représentations construites, non des appréhensions directes de la réalité objective ou du temps absolu. Le mystère profond de la réalité et du temps reste un point focal central de la pensée et de la recherche humaines, alimentant notre quête d’une compréhension plus approfondie.
Pendant longtemps–et ce longtemps ne date que de quelques dizaines de milliers d'années, c'est si peu à l'échelle cosmique–, nous avons pensé que la réalité s'animait aux bons vouloirs et humeurs des dieux. Par la suite, ceux-ci se sont tu et on laissé la place à quelques vibrations religieuses. Mais celles-ci se sont également graduellement aplanies, abandonnées.
Parce que la science nous a fourni tant de découvertes et de compréhension, nous nous sommes convaincus que ses paroles devaient représenter l'Ultime, que la réalité qu'elle décrivait était plus grande, mais froide, merveilleuse, mais mécanique.
Tout apparaît si vite, incompréhensible. Nous semblons avoir perdu la notion et l'humilité individuelle de notre perception des choses. Il est grand temps que nous ralentissions la cadence. Non pas qu'il nous faille arrêter–comment le pourrions-nous?–mais qu'à tout le moins nous réalisions qu'il est temps de tuer les ataviques Dieu et Raisonnements, d'ouvrir à nouveau nos yeux et nos narines afin de réinventer et de respecter l'univers dans lequel nous baignons.