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Les yeux muets

18 février 2024

Mes yeux me rendent muets, s'abreuvent de fleurs et de natures mortes. «Un homme allongé, torse nu, électronique incrustée dans la peau, sol et racines, branches et fleurs, ciel sombre» fut ma première commande aux lointains algorithmes. Puis j'ai demandé des altérations, des variations, j'ai laissé courir ma pensée, mon intuition, même si j'ai peu de contrôle du résultat obtenu.

Toutes ces images de beaux hommes au bois dormant. Des gisants d'une autre terre, copiés à je ne sais quel créateur. Est-ce de l'art ou du plagiat? En avoir le talent, j'aurais pu peindre ces tableaux, en faire mon miroir. Je me contente de payer pour mieux consommer. La sensualité de certains rendus m'étonna tout de même. Les machines, là-bas, fantasment-elles? Comme l'interrogeait un auteur, rêvent-elles de moutons électroniques?

On ne peut pourtant pas tout demander. Les modèles conversationnels se sont fait tapisser de tabous qui n'en sont pourtant pas. On ne peut employer tous les mots, prétextant qu'il y aura dérive. On a peur des pervers, le monde binaire ne fait pas dans la grisaille.

Il y a sûrement des accès à des algorithmes plus libres. L'art, après tout, est fait de transmutation des sens, chose qu'un ordinateur n'a pas le droit de comprendre. On y verra l'espoir que la machine n'arrivera jamais à faire de l'art par elle-même.

Il viendra alors un jour où des électrodes ou des circuits qui se brancheront au cerveau, nous laissant libres de fermer les yeux et de tout voir et imaginer, sans possibilité réelle de partage. Voilà bien la tristesse et la solitude de l'existence intérieure. Déjà qu'il soit ardu de débroussailler les buissons de son âme, faut-il que l'on demeure étranger l'un pour l'autre.

Illustrations créées à l'aide de Midjourney