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L’oiseau vous le dit

5 avril 2021

Je me suis abonné à la librairie visuelle Lucid. Cette sympathique application permet de cerner en quelques minutes l’essentiel d’un livre. Si on voulait être méchant, on pourrait conclure que les gens écrivent trop de mots pour expliquer quelque chose et qu’il suffit de quelques beaux diagrammes pour le tout. En quelque sorte, Guerre et Paix, cela se passe en Russie.

Quoi qu’il en soit, j’y suis allé de lectures dites motivantes : No Rules Rules (les principes organisationnels qui ont mené au succès de Netflix), Thinking, Fast and Slow (ou l’art de comprendre ses biais et se méfier de son intuition), Dare to Lead (ce qui fait un bon leader), Grit (encore un livre sur le leadership) et enfin, Start With Why (bien identifier sa motivation profonde, sa raison d’être).

Ce dernier livre m’a particulièrement interpellé, tant sur le plan personnel que professionnel. Les titres de chapitre parlent d’eux-mêmes :

  1. The Importance of Knowing your Why
  2. How Gut Instincts Drive Decisions
  3. The Key to Your Why
  4. How Leaders Attract Followers
  5. How to Rally Those Who Believe
  6. Aligning Your Actions With Your Why
  7. Why Success is the Biggest Challenge
  8. How to Discover Your Why

La langue anglaise a cette force d’enrouler des concepts les uns autour des autres. Dire en français Connaître son pourquoi n’a pas beaucoup de sens. Cependant, le concept est simple et demandant : Connaître sa raison d’être, son pourquoi devrait être basé sur ce que l’on est en tant qu’individu. Ce qui nous distingue en tant que personne est nos expériences de vie, notre éducation. Qu’étiez-vous adolescent.e ? Qu’aimiez-vous faire, entreprendre ? Qu’est-ce qui vous a empêché de continuer, ou qu’est-ce qui vous a amené à poursuivre dans cette direction ? Quel âge avez-vous ? À ce stade de votre vie, votre chemin a-t-il divergé des premiers sentiers que vous avez empruntés ?

Les entrepreneur.e.s devraient tous se poser cette question cruciale du pourquoi, car cette motivation première devrait être celle qui les guide vers le développement et la croissance de leur entreprise. Il en va aussi de nos vies personnelles.

Par exemple, qui étais-je, adolescent ? Un garçon rêveur, qui écrivait des poèmes, mais aussi un esprit fasciné par la science, la science-fiction, les possibles. Je me bâtissais des forts, des avions en Lego. Je voulais devenir, en fait, architecte, car j’aimais tracer des lignes, j’aimais beaucoup dessiner. Je voulais construire en même temps, je voulais m’évader. J’ai toujours eu soif d’explications, de grands schèmes.

Il y a eu cassure à l’université. Je n’avais pas les notes, je n’étais pas suffisamment discipliné, me disais-je, pour devenir architecte. Mes maisons risqueraient de tomber. C’est du moins ce que l’on m’a laissé croire et, naïf, j’ai suivi. Après plusieurs errances inoffensives où il m’a fallu connaître les garçons et les trahisons, je me suis remis à écrire et j’ai publié quelques livres.

Mon parcours professionnel a été une suite de circonstances. Chacun de mes pas possédait tout de même cette volonté de construire, et c’est ainsi que je suis devenu infographiste, puis programmeur et maintenant, plus ou moins directeur de quelque chose de flou. Entre le réaliste et l’artiste, l’astrologue et l’amant. Je suis demeuré, pour ainsi dire, égal à moi-même, sans pour autant posséder la discipline d’en faire une histoire à succès selon les standards véhiculés dans les livres populaires et bien écrits.

Cette gloire, cet achèvement comme on le lit dans ces bouquins, n’est certes pas à la portée de tout le monde ? Il faut, bien entendu, définir pour soi cette notion de succès. Mon père, à 87 ans, dit qu’il a réussi sa vie. Il voulait une famille, des enfants intelligents, une belle femme déterminée à ses côtés. Il a eu tout cela, selon ses dires. Il est fier de sa vie. Le succès est donc matière à interprétation.

Il n’empêche qu’il serait bon que chacun de nous se pose cette question, et surtout se la poser fréquemment, faire de son pourquoi un leitmotiv motivant, moteur qui permet de conduire sur quatre, trois, deux ou une seule roue.

Un leader est quelqu’un qui est apte à communiquer son rêve et à embarquer sur son navire des gens qui sont prêts à réaliser celui-ci, à conduire la barque à bon port. Un chef d’entreprise qui se contente de diriger verra se transformer ses matelots en fonctionnaires de la voile ou de la vapeur, en zombies administratifs. S’il ne comprend pas lui/elle-même la direction de sa propre motivation, il/elle ne pourrait l’induire chez les autres et le bateau sera invariablement emporté par le courant et les tempêtes.

Moi, à 62 ans, où en suis-je dans mon pourquoi, ma raison d’être ? Cela pourrait être douloureux d’y répondre, car il est facile de plonger dans le regret. Je continue à écrire de petits bouts de texte qui se promènent allègrement sur l’océan de l’Internet. J’écoute les gens, c’est une partie de mes responsabilités au sein de mon entreprise. On dit que je suis souriant, que je fais du bien. Je programme également, je joue le rôle de mentor sans pour autant avoir les diplômes.

Je ne suis pas certain de comprendre ce pourquoi. Il est un oiseau qui se cogne les ailes contre les parois de mes pensées, de mes poumons. Il s’obstine à faire de mes bras des ailes. Je ne pose peut-être pas assez la question du pourquoi. Que dois-je entreprendre maintenant ? Je ne veux pas me reposer, je ne suis pas si fatigué que cela. Est-ce que je me sens écouté ? Suis-je un zombie ?

Peut-être.

Je demeure un rêveur qui, la bave aux lèvres, regarde les ombres de ses pulsions dessiner de suaves raisons d’être à chacune de ses nombreuses et limitées respirations.

Peut-être ne rencontrerai-je jamais sur mon passage mes véritables pourquois. Et si tous les gens du monde se posaient des questions, n’y aurait-il pas moins de misère, mon frère, ma sœur ?