Qui se souvient des appareils photos avec film? Il semble si lointain ce temps où il fallait juger de la valeur intrinsèque de ce qu’on voulait capter avant d’appuyer sur le déclencheur.
Maintenant, on prend n’importe quoi, par exemple son pied en contre-jour d’une lampe. Peut-être n’aurais-je pas pris cette photo et je me serais contenté d’observer le pied. Peut-être mon subconscient en aurait quand même fait une matière à conserver, une façon de réfléchir.
Je revenais de l’hôpital. Je dormais tout le temps. Je n’avais sans doute pas toute ma tête. J’allais me coucher et mon pied dépassait des couvertures. Je me suis arrêté un instant pour l’observer. J’ai saisi mon téléphone et je l’ai photographié sans trop y penser. Et voilà que j’écris sur ce pied dans la lumière, puisque j’ai conservé la photo, puisqu’elle semble vouloir me parler en quelque sorte.
Je voulais pourtant plutôt écrire sur ma marche de ce matin. J’allais prendre le métro pour le travail. À cause de l’antibiotique prescrit, ma médecin m’a suggéré de ne pas faire d’exercice, car les muscles sont fragilisés. J’avais encore, jusqu’à hier, l’impression de ne pas avoir la force nécessaire pour endurer de longues marches. Aller à l’épicerie qui est à 8 minutes à pied de chez moi, prenait toute mon énergie.
Ce matin semblait différent. Il faisait certes frisquet, je m’étais bien vêtu pour l’occasion. J’allais prendre le métro pour me rendre au bureau, puis j’ai vu le soleil illuminer le trottoir devant moi.
Je me suis dit que je pourrais tenter à tout le moins de rejoindre la station suivante, à quinze minutes de marche. J’ai accroché mes écouteurs et choisi une œuvre vocal que j’affectionne, me disant de ne pas me presser, d’y aller à mon rythme.
Concentré sur la musique, le Requiem Novum de Jansson – je sais, voilà qui semble être un bien sombre pour m’apaiser, mais qu’on l’écoute et on comprendra. Concentré donc, j’ai fait abstraction du reste et j’ai marché. Peut-être vingt-cinq minutes plus tard, j’atteignais la station. Je me sentais bien, l’air entrait facilement par les narines. Je n’étais pas fatigué.
J’ai ainsi décidé de continuer, de rejoindre le parc Jarry et poursuivre ma marche.
Habituellement, cela me prend environ trente-cinq minutes me rendre au bureau. Cela m’en a pris facilement soixante, mais j’étais heureux. Tout juste me suis-je assis quelques instants sur un banc à observer les promeneurs de chiens et les joggers.
Petite victoire, donc, de deux pieds qui avançaient l’un après l’autre, en plein soleil, sans ombre, branché solidement sur un corps qui reprend tranquillement son erre d’aller.
C’est dire que la précieuse santé revient, qu’elle tentera de frayer son chemin entre les virus automnaux, que tout ira bien.
Eh bien, oui, tout va bien, du moins pour ce bref instant à écouter de la musique de requiem et à respirer le grand air soufflant sur ma petite existence.
Amen?