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Moi, phœnix?

7 mai 2024

"Tu es un phœnix, tu vas renaître comme toujours", m'écrit un ami.

Voilà un mois que j'ai perdu mon emploi. C'est à la fois beaucoup et peu. Le temps est une matière friable, relative à on ne sait quel cycle. Parfois une donnée mathématique réifiée, parfois un rêve instantanément relié aux oubliettes surannées de sa personnalité.

Si peu de temps, donc, ces quatre semaines. Tout juste ce qu'il faut pour rationaliser ses dépenses, recevoir un maigre chômage, rencontrer un conseiller financier qui m'enjoint de me trouver rapidement du travail et de m'annoncer que je ne pourrai pas prendre ma retraite avant l'âge de 70 ans. Tout juste le temps aussi de rencontrer quelques amis et de contrôler sa déception d'avoir servi toutes ces années des gens que l'on croyait faits autrement, que l'on ne peut ni nommer ni juger.

Parfois, l'angoisse est plus forte que la raison. Incapable de vous endormir, car ce temps si précieux n'est tout de même que du sable filant entre vos doigts. Tantôt, le sommeil est pesant, vous assomme durant l'après-midi après que vous ayez passé trois heures à apprendre un langage de programmation qui manque dans votre CV. Et le reste de ce maigre temps, vous continuez comme si de rien n'était. Vous faite votre épicerie en regardant certes les prix, en vous privant de cette pièce de viande que vous aimez tant pour en choisir une plus économe.

La discipline est importante alors pour se donner un semblant de courage. On coche des étapes, on fait comme les autres, on reste attentif aux offres d'emploi, on soumet sa candidature et on attend que ça morde, là, au fond de la rivière des possibles.

Peut-être rirai-je du temps présent dans trois mois quand le bateau sera de nouveau sur l'eau. Peut-être...

Phœnix, moi? On se refait des ailes facilement quand on sait où aller. On prend davantage son temps quand on a moins de patience devant l'incertain. Ce combat entre l'urgence d'agir et la nécessité de donner un sens à ce que l'on fait peut sembler contradictoire. Tu comprendras, le jeune, quand tu auras mon âge.

Et à bien y penser, c'est là que réside la vraie blessure, celle que l'on s'inflige à soi-même, celle qui mine votre confiance, qui vous dévalorise. C'est là que se nourrit l'angoisse, dans de bol presque vide de ses aspirations. Et c'est là aussi que se forge le nouveau métal de son courage.

Alea jacta est.

Illustrations : Midjourney