Puisque la vie est un perpétuel recommencement, elle est forcément une constante oxydation. Ce-qui-est ne devient plus. Parfois, ce-qui-est s’amenuise peu à peu, s’enraie lentement, s’oxyde et puis stoppe. Mais parfois, le bris survient et ce-qui-est n’est déjà plus, dans un grand fracas d’indifférence puisque ce-qui-est est maintenant ailleurs.
Nos ancêtres, ceux d’il y a très loin dans le temps, possédaient cette capacité, ou cette ignorance, d’accepter l’Ordre, le Grand Plan. Ils savaient que de la destruction surgissait la construction, que le bruit était le frère du silence, que la mort était l’amante militaire de la vie. La vie de nos ancêtres ne leur appartenait pas, n’existait même pas.
Évidemment, cette monumentale certitude ne pouvait pas, non plus, résister à l’érosion. La vision du Grand Architecte fut discrètement déformée par les émotions et les désirs des plus forts. Un nouvel ordre naquit et les choses devinrent très compliquées si bien que la Justice devint adultère, la Bonté creva ses yeux d’impatience et les faux prophètes allumèrent des brasiers scandaleux. Le Paradis ne pouvait pas durer. Ce sera sans doute les Hommes qui l’auront tué, mais ç’aurait pu être une comète.
Ainsi, toute chose s’oxyde, surtout nos corps. Pour nos âmes, nous ne savons pas encore. Les réponses que nous avions trouvées ne semblent plus tenir la route. La rouille colore les bénitiers. Les fois sont toutes vieillissantes et ceux qui y adhèrent toujours deviennent souvent violents ou bêtement suicidaires.
Mes propres os montrent des signes de fatigue. Alors j’écoute ce chant, ce battement intérieur, cette mélodie aux notes à la fois discordantes et belles. Ce chant ne m’appartient pas, je n’en connais ni la source ni le destin. Tout lui est égal. L’entends-tu, lecteur ? Le comprends-tu, lectrice ?