Ma mère m'a remis dernièrement tout ce qu'elle avait conservé de mes écrits, notamment certaines copies du journal étudiant du Cégep Lévis-Lauzon La Guillotine de 1977.
Je connais des gens qui conservent tout, de leurs premières lettres d'amour aux dernières factures. Ce n'est pas mon cas sans que je m'en fasse une nécessité ou une fierté. J'avais depuis longtemps enfoui dans mon inconscient ces écrits estudiantins. Fait amusant, s'il y a beaucoup de dates dans ce journal, on n'y mettait jamais l'année. Cela semblait évident, j'imagine. La jeunesse, ça vit ne vit pas dans un siècle, mais au gré des heures.
J'ai lu la liste des gens faisant partie du journal. Je ne m'en souviens que d'un, car j'étais secrètement amoureux de lui. Il m'écrit encore, toujours le jour de mon anniversaire, pour me dire qu'il ne m'a pas oublié, qu'un jour, il viendra me voir. Je ne pense pas qu'il le fasse. Son amitié est une étrange fidélité, un petit diamant d'amour parallèle. Quand il déménagea à Montréal alors que je demeurais à Québec, je lui écrivais de longues lettres poétiques indirectement adressées à lui. Semble-t-il qu'il les lisait durant ses soirées, fier de mon imaginaire.
J'ai lu la dizaine d'articles dans les quelques exemplaires que maman avait conservés. Outre des éditoriaux voulant provoquer, je me faisais critique de films, de livres. Je lisais énormément à l'époque. Je voyais des chefs-d'œuvre un peu partout si j'en crois ces textes, comme si j'avais derrière la cravate le bagage nécessaire pour faire de tels constats. Je dévorais surtout de la science-fiction. J'étais également fleur bleue, car je vantais les mérites d'un film de Barbra Streisand...
J'étais baveux à souhait, comme en fait foi cet éditorial de ma deuxième année de cégep: Si vous êtes trop lâche pour lire ceci, ne le lisez pas !. Je voulais faire avancer les choses, protestais dans ce texte sur le peu de participation des étudiants à la démocratie étudiante. Cela a-t-il changé? Je ne pense pas.
Parmi les papiers conservés, des articles de journaux, dont une réponse que j'avais écrite à un journaliste concernant l'astrologie. J'étais déjà là-dedans...
Maman avait rangé dans cette boîte mon premier roman. Vraiment mauvais, dont je n'ai retenu le titre pour en faire un autre qui, lui, fut publié: Les années rebours.
J'ai jeté tout cela à la poubelle cet après-midi. Rien ne restera de toute façon de cette vaste dune qu'est ma mémoire. Le sable y est friable et modulable.
Il suffit qu'un souvenir émerge pour que d'autres refassent surface. J'ai repensé à mes années universitaires. Encore dans les papiers, le journal des étudiants en journalisme dans lequel je provoquais encore les étudiants. J'avais certes trouvé dans les mots ma façon de communiquer avec les gens. Je n'allais pas dans les extrêmes, ne fus jamais celui qui plongea dangereusement dans l'alcool, les drogues ou le sexe. Mais je pouvais exagérer facilement avec du vocabulaire.
J'étais ballotté dans le rêve, ce que me confirme la lecture des transits de l'époque, surtout celui de Neptune qui, en 1977, faisait carré avec le Soleil natal alors que deux ans plus tard, il rencontrait la Lune. J'étais doucement perdu.
Quarante ans plus tard, Neptune survola le point du ciel marqué à la naissance par le Soleil, ayant traversé ainsi quatre-vingt-dix petits degrés dans l'univers solaire. Ce sont des temps fertiles en imaginaire pour celui ou celle capables d'accepter l'incertitude.
Tout me semble lié maintenant. Je cherche encore dans ce brouillard la racine de mon être. Il s'agit de mon seul voyage. Ma barque est modeste, mes voiles usées. L'océan semble serein, mais je n'en sais rien. Je ne suis pas marin.