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Sombre n’est pas morbide

31 janvier 2012

Nous avons débuté, la semaine dernière, à Ganymède, l’apprentissage de Shadows of the Moon, composée en 1976 par Kirke Mechem. C’est une pièce lente, à prime abord sombre ; le texte est du père du compositeur.

Night falls, star silent
Even the cottonwood trees
Grow hushed and still,
And all the pale green grass
Upon the field breathes quietly.
No breeze disturbs the shadows of the moon
They pass along the hedge row,
They pass like phantoms, fearful of her face, etc.

La nuit tombe, l’étoile silencieuse
Même les peupliers
Deviennent muets et immobiles,
Et les herbes d’un vert pâle
Dans le champ respirent calmement.
Aucune brise pour déranger les ombres de la lune
Elles passent le long des haies,
Elles passent comme des fantômes, craignant son visage, etc.

Le traitement musical est parfois dissonant pour le choriste qui peine à frotter la mélodie qui lui est impartie à celle de son voisin. Les pianissimos sont de rigueur avec quelques enflures vers le mezzo-forte, mais sans plus. L’oeuvre qui dure tout de même un bon six minutes, reste tapie dans l’ombre d’une Lune indifférente à ses propres effets.

Les choristes ne semblent pas trop l’aimer, et ont manifesté dès le début leur dédain du caractère morbide de l’oeuvre.

Tout d’abord il faudrait comprendre ce que morbide signifie. Est morbide ce qui est malsain, a trait à la maladie, et, par extension, ce qui est déréglé.

Dans cette pièce, il est certes fait mention de fantômes, mais on n’y sent aucune volonté de faire peur et on ne sent aucun désir malsain d’exprimer des sentiments maladifs ou frauduleux. Cette oeuvre, et ce poème, ne semblent vouloir décrire qu’une pleine lune parcourant silencieusement un paysage immobile. Certains associeront la description à ce qu’ils se représentent de la mort. Tout cela est possible.

Pour ma part, je me suis familiarisé avec l’œuvre sans cette appréhension. Il est vrai qu’on me qualifie souvent de sombre. Un premier et rapide lecteur des premiers chapitres de mon récent roman en trouvait la lecture déprimante, mais il ne savait dire pourquoi. Le texte n’est d’ailleurs pas plus sombre qu’un autre, mais les sentiments qui y sont véhiculés sont abrupts, parfois sans détour.

Quand j’écris, je tente de décrire une zone sans ombre, mais non plus sans soleil. Erreur, je me reprends. Quand j’écris, je tente de décrire cette hésitation que j’éprouve entre la vérité et le mensonge, je veux demeurer sur la fine et coupante ligne de l’incertitude. C’est là, je crois, où se situe une pièce comme Shadows of the Moon.

Être sombre n’est certainement pas morbide, mais cela peut effrayer. S’il y a des gens qui préfèrent le soleil aux ombres, il en est d’autres pour admirer la lumière en demeurant stratégiquement placés hors des rayons meurtriers. Tout est affaire de perspective. On peut aimer danser, on peut aimer voir danser. On peut vouloir vivre, on peut avoir peur de mourir. On devrait, mais cela prend un courage d’artiste, pouvoir passer d’un soleil à un autre et, pour ce faire, voyager parmi les ombres. Nul croyant, disait un jour un théologien qui s’est fait taper sur les doigts, mais qui reprenaient pourtant la sagesse de gens bien avant lui, nul croyant donc, ne peut affirmer croire s’il n’a pas un jour douté.

Tout jouir, tout se réjouir, tout accepter, tout s’offusquer, tout craindre, tout combattre. N’être en aucun cas, un éternel paresseux qui préfère l’insoutenable légèreté de l’être à l’incompréhensible profondeur des choses (de cette dernière phrase, je dirais que c’est mon dada.)

J’accepte ainsi volontiers de plonger dans l’univers glacé de Shadows of the Moon et tant mieux si, en y puisant mes émotions, j’arrive à y découvrir des lumières insoupçonnées.