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Sommes-nous ?

13 novembre 2011

J’ai rêvé qu’une maison d’édition bien connue d’ici me retournait mon manuscrit accompagné d’une lettre de bêtises véhémentes et qui m’enjoignait de ne plus écrire un seul mot. J’étais nouveau dans un bureau un peu alambiqué. Mes collègues ressemblaient à des gens que j’ai connus. Ils m’offraient une belle carte de bienvenue dans laquelle, étonnamment, se trouvaient les signatures des gens de la maison d’édition qui m’insultait. Je me voyais donc dans l’obligation de refuser cette carte, en leur expliquant pourquoi, ce qui créa une onde de choc parmi mes nouveaux collègues. Le plus étrange (mais au fond, qu’est-ce qui peut être plus étrange dans un rêve qu’une autre parcelle de celui-ci ?) est que, dans la réalité, je n’ai pas soumis ce manuscrit à cette maison d’édition.

J’ai quelques idées qui fusent : je ne suis pas fait pour ce monde ; je n’arrive pas à y prendre ma place ; je suis un étranger parmi moi-même. La trahison est partout et je me place toujours en situation déstabilisante. Je suis incapable de gérer comme il faut de l’argent même si je me débrouille (c’est parce que je suis travaillant), je suis un créateur, mais je sombrerai vraisemblablement comme quatre-vingt-dix-neuf virgule quatre-vingt-dix-neuf pour cent des créateurs de ce monde. Voilà, j’ai peur, comme aurait dit Yeats, non pas de la mort, mais de l’oubli.

Je lis en ce moment la biographie de Steve Jobs dont la névrose narcissique était indéniable. Il pouvait être aimable ou ingrat, souvent les deux à la fois ; il catégorisait les gens en deux clans : les génies et les nuls. Les gens le détestaient et l’admiraient aussi. Je me dis qu’il aurait pu arriver à ses fins autrement qu’en étant un trou du cul. Et pourtant, on le vénère maintenant pour ses traits de génie (de marketing). On lui reconnaît d’avoir changé ceci, cela (avec l’aide de véritables artisans pour lesquels il n’était que le grand motivateur), on lui reconnaît ainsi d’avoir fait sa marque. Le bonhomme avait la prémonition qu’il mourrait jeune et il s’avouait être pressé par la vie. Son ego rempli des contradictions (il était zen et n’avait de passion que pour la fabrication de beaux objets), tassait donc tout son monde, il prenait crédit de tout, faisait des brevets mêmes pour ses boîtiers d’emballage. Bref, un être extrêmement déplaisant (et sale. Il a commencé à vraiment se laver vers la quarantaine).

Il m’apparaît que mon rêve transpose cette lecture. Alors le doute s’installe. Suis-je, moi aussi, qu’une pantomime narcissique ? Ma promenade d’hier semble en avoir choqué quelques-uns. Je me suis fait probablement mal comprendre en disant que la plupart des gens ne m’intéressaient plus. Et dans mon rêve, les insultes sont venues de haut, d’une maison d’édition qui m’a toujours refusé ses portes.

J’ai des prétentions certes. Je veux trouver mon bonheur, créer une trace qui, comme ces feuilles de tous les automnes, n’aura pourtant la beauté que d’une seule saison. Sommes-nous autre chose que des automates poussés par des courants indomptables ? Nous savons si peu encore du mystère qui nous entoure. Nos erreurs pourraient s’avérer des nécessités et nos succès des vérités parallèles, sans mœurs et sans misères. Nous avons longtemps, par incapacité et sûrement par paresse, appelé notre ignorance par le nom de Dieu. Quelle est la source de notre vie ? Ne sommes-nous qu’un lent fleuve d’existences qui, lui, réussit à laisser sa marque dans le sol ? Qui sont les gens autour de nous ? Quels sont leurs buts ? Nous avons, encore une fois par ignorance et par lassitude, appelé ces gens par divers noms, mais les nommer ne suffit plus. Il faudrait être capable de dépasser ces frontières, de penser différent, comme le suggérait le grand Serpent des ordinateurs avec sa pomme délicieuse.

Je suis confus ce matin, tout comme l’est mon rêve. J’aimerais faire table rase. Je ne suis tout simplement pas encore réveillé. J’ai des choses à faire aujourd’hui, l’épicerie, les comptes, terminer quelques travaux professionnels, faire mon pain, prendre mon mal en patience, visualiser mon succès, me lécher le poil comme le ferait fièrement un chat.