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Sur la route maintes fois foulée de Madison

1 février 2012

Dans son carnet qu’il qualifie d’intime, Laurent a écrit un franc et joli billet, Le troisième homme. Laurent écrit fort bien. J’ajouterais qu’il écrit mieux que moi. J’ai également une copine qui écrit beaucoup mieux que moi, qui possède une syntaxe et un vocabulaire exemplaires. Bref, j’aurais peut-être voulu écrire un tel billet, même si je n’en aime pas les conclusions d’autant que l’on répète ici la sempiternelle Route de Madison.

C’est pourtant une belle histoire, tant celle de Laurent que celle de Robert James Waller. Je pourrais tout aussi bien parler de mes expériences en la matière. Je pourrais relater celle de cette amie d’un ami qui avoua à ce dernier, le jour de ses propres noces, qu’elle aurait préféré le marier plutôt que celui à qui elle venait de promettre fidélité.

Tous nobles peuvent être ces sentiments avoués, ils décrivent en même temps la couardise exprimée face aux réalités de la vie. L’art de l’écrivain ou du comédien est de mentir, celui du vivant est d’agir, et nous naviguons allègrement sur la route sinueuse des compromis, des infatuations et des opportunités de se faire plaisir. On pourrait prétendre que voilà bien un sentiment d’homme que d’y aller d’une branlette dans le coin d’un mur sombre de discothèque ou d’ascenseur. Il est vrai que le mâle s’entiche facilement de l’intensité du moment, que son orgasme fantasmé a droit à une place aux panthéons des histoires d’amour intemporelles. Cependant, la femme n’est pas plus à l’abri de la fournaise qui brûle en chacun de nous. Si elles sont comme les femelles oiseaux (et j’en ai la quasi-certitude), ce qu’elles couvent dans leurs nids est une savante recette de pain quotidien et de crème de laitier. Il faut se rappeler que nos horloges biologiques se souviennent d’heures plus simples et insistent encore pour nous donner l’heure selon les mêmes rouages.

Bref, nous aimons nos classiques et le texte de Laurent n’en fait pas exception. Cet amour est si fort qu’il pousse l’homosexuel à faire comme l’hétérosexuel, à reproduire la même pâte. Ce modèle a fait, certes, ses preuves. Il sécurise, il fait marcher l’économie, et il permet de bien finir ses jours. On se rend compte de l’attraction pour cette reproduction atavique quand on voit, à la télévision, tant les séries dites de réalité que les reconstitutions historiques des périodes bien révolues de la bourgeoisie édouardienne ou des bons temps simples, compliqués et corsetés de la colonisation du début du XXe siècle quand on ne plonge pas allègrement dans les atermoiements royaux ou dans les églises médiévales.

On aime bien répéter et on préfère se dire qu’il n’y a plus rien à inventer, que tout a été dit.

Méfions-nous de l’eau qui dort, des histoires glacées ; méfions-nous des météores qui surgiront dans nos futurs. Bien heureux celui qui possède ses certitudes. Bien incompris celui (ou celle) qui, dans la profondeur de ses quais, plonge les poumons gorgés d’air, couteau en bouche, vers les cordages qui le retiennent, afin de patiemment les tailler pour ne plus jamais s’arrimer aux illusions des promesses des autres.

L’amour est bizarrement comme la politique. On cherche tant à réinventer en répétant et en insistant. C’est probablement parce que, en fin de compte, nous ne sommes que des impuissants. Et puis, la vie est si courte, pourquoi se donner tout ce mal ?

Je cherche en vain une réponse, un signe. Il faudra bien que j’écrive là-dessus.