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Un camaïeu de «è»

2 février 2013

L’apprentissage du chant se poursuit et les résultats sont parfois bons, parfois ok, parfois à oublier. À chaque leçon, j’y retrouve les mêmes exigences expliquées différemment, les mêmes exercices reconstruits autrement. On explore mes graves, nettement maladifs, atrophiés par de nombreuses années d’oubli. On tempère mes aigus qui, comme de vilains capitalistes, veulent s’approprier tous les sièges de l’auditoire.

Je ravale ma fierté et contrôle maladroitement mon émotion. Je m’étouffe souvent, non par manque de technique, mais par excès de sentiments. On ne me dira pas qu’apprendre à chanter ne relève pas de la catharsis. Des passages très hauts que je dois chanter difficilement à la chorale, je les chante, après une heure en compagnie de mon professeur, si ce n’est pas correctement, à le moins confortablement. « N’hésite pas à prendre ta place, Guy », m’enjoint Vincent, et rien qu’à me faire dire cela, ma gorge se noue.

Toujours est-il que j’apprends à chanter en redécouvrant mon corps d’aphasique. Vincent me rappelle qu’un aphasique ne s’exprime généralement que dans un « camaïeu de “è” », dans une palette plus ou moins monochrome de cette voyelle. C’est ce que le corps est capable d’émettre quand le cerveau ne parvient pas à lui faire prononcer les autres voyelles.

Dans cette caverne de ce « è » qui paraît si bâtard, se terre toutes les peureuses voyelles. Pas étonnant que, durant les cours de diction, on vous mette un crayon dans la bouche. Ouvrons la gueule latéralement, ne cherchons pas à tant prononcer, laissons le son vibrer à l’intérieur de la caverne de la joue supérieure. Bref, les voyelles sont des chauves-souris pendues au plafond du palais. Un rien, une brise, les énerve, les excite. Petit à petit, j’arriverai à chanter béatement.

Pour le moment, je m’oblige à sourire bêtement, mais sans rien forcer, cela va de soi. Comme il est difficile de revenir à soi, de rester en même temps vigilant, reprendre contact avec son corps, le laisser «parler» tout en lui caressant gentiment la nuque. Bon petit chien va !