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Un esprit sans cholestérol

1 décembre 2020

Je suis allé à l’hôpital aujourd’hui pour une visite régulière. Je n’avais pas mis les pieds au Jewish depuis janvier dernier, bien avant la folie causée par la pandémie. J’y ai trouvé une organisation quasi militaire, bien disciplinée. J’ai profité d’un passe-droit parce que je visitais l’hématologie, et je n’ai pas eu à faire la file. Je suis donc sorti de l’endroit une demi-heure après y être entré.

Comme je ne sors pas souvent, je commence à manquer de repères. C’est l’être humain qui s’adapte ici. Les immeubles, les saisons, les voitures de métro, tout cela n’a pas changé, mais on voit dorénavant partout des gens masqués, des fantômes qui s’évitent le plus possible. Il est même difficile de capter des regards, d’en rêver.

Je suis allé faire un tour au centre-ville afin de m’acheter un manteau dans un nouveau magasin. Au Centre Eaton, comme ailleurs, des flèches au plancher, des corridors, des panneaux vous rappellent qu’il faut rester à deux mètres. L’endroit en rénovation était désert à cette heure matinale, c’en était presque sordide. Les décorations de Noël de la devanture brillaient pour elles-mêmes comme si l’esprit des fêtes devait également conserver ses distances.

À la porte d’entrée du magasin, on vous prenait la température avec un pistolet thermomètre et on vous obligeait à recevoir dans les mains un gel alcoolisé. Que ce soit dans le métro, à l’hôpital, chez Uniqlo, la même hygiène. C’est difficile de croire que la COVID-19 réussit à se transmettre avec tout ça.

Je ne suis pas resté longtemps dans le magasin, le temps d’acheter ce que j’avais décidé sur le net. Je n’étais pas d’humeur à me promener dans les allées, d’autant plus que j’étouffe facilement avec un masque. J’en ai essayé plusieurs sans pourtant m’y faire. Je rêve d’un scaphandre…

Parlant de regard, j’ai tout de même capté les yeux d’un frêle Asiatique qui semblait intéressé à en savoir davantage sur mes prunelles, mais ce fut un très bref retour en arrière, là où la normalité se cache désormais.

Je suis revenu à la maison, en prenant mon mal en patience dans le métro et en lisant quelques courts chapitres de The Mind dans lequel on côtoie les merveilles et les mystères entourant le cerveau, la pensée et la conscience.

Je me demande ce que cette pandémie laissera comme trace dans nos craintes, nos comportements. Nous sommes trop jeunes pour nous rappeler la grippe espagnole, nous sommes peut-être trop modernes ou pressés pour en inventer une sagesse ou en tirer à tout le moins quelques prudences et conclusions.

Suis-je simplement en train de vieillir à trouver que l’univers devient irréel ?

Cet après-midi, j’ai passé une entrevue à un candidat de 24 ans. Il ne me semblait pas heurté par ce qui se passait, possédait la vitalité ensoleillée de sa jeunesse.

Il y a les poètes qui notent tout sur leur passage, qui s’empêtrent dans les filets de leurs ombres et de leurs lumières, il y a les savants qui observent tout et qui titubent dans leurs hypothèses, il y a les fous qui ne pensent qu’aux complots, et il y a tout le reste, les gens, la vie, les décorations de Noël qui étincellent sur des trottoirs déserts.

Le monde n’a peut-être pas changé. Comme à mon habitude, j’invente encore une couche de réalité, une sorte de miel que je goûte en lampées ludiques. Ça maintient ma pensée bien grasse et heureusement dépourvue de cholestérol.