Cela doit bien faire dix ans qu’un raton laveur s’était mis dans la tête de se promener dans l’entre-toit de ma galerie arrière. Je crois me souvenir que c’était durant un automne, au moment où ces bêtes se cherchent un endroit pour passer l’hiver. La construction est ainsi faite que l’entre-toit était ouvert par le biais du placard extérieur qui lui-même donnait sur le toit par une trappe laissée ouverte… Le raton-laveur devait être content d’avoir trouver ce futur nid.
Mal lui en prit, car j’étais à ce moment sur la galerie quand je vis au-dessus de moi la mince tôle du plafond s’enfoncer comme on le voit dans un film d’horreur. Comprenant qu’un intrus explorait l’endroit, je m’étais précipité dans la cuisine pour récupérer un balai afin de frapper avec le manche là où le monstre se promenait.
La bête se mit à sursauter, courir dans tous les sens. J’étais bien résolu à l’en chasser. Il arriva ce qu’il devait arriver quand on ne pense pas plus loin que son nez. La mince structure métallique du plafond finit par s’effondrer, entraînant dans sa chute la pauvre bête qui, heureusement, eut autant peur que moi et déguerpit par les escaliers.
La bataille était certes gagnée, mais le toit de la galerie était dans un piètre état. Je finis par arracher le tout le lendemain, m’obligeant par la même occasion à enlever les deux vieilles lampes qui y étaient fixées, pour ensuite sécuriser les fils électriques en attendant que je répare le tout.
Bref, dix ans plus tard, le toit n’est toujours pas remplacé. Ma pensée a toujours été ailleurs, et ma paresse a fait le reste. En plus, c’est pas simple tout de même. Je ne suis pas au rez-de-chaussée, il faut faire gaffe pour l’installation, penser à des gardes-fous ou à payer un ouvrier… J’avais pensé à refaire tout en beau pin, mais le bois est maintenant tellement cher…
Toujours est-il que cet été, le toit principal a été refait cet été, la façade de la maison fut ravalée par la suite, une thermopompe a suivi quelques semaines plus tard, tout comme deux nouvelles lampes à l’avant ont remplacé celles qui dataient probablement de la construction en 1929. Mon cerveau s’est mis à penser soudain à l’éclairage arrière.
Les ratons laveurs viennent de temps en temps chez moi. Je les ai déjà rencontrés quand je revenais d’une visite chez mes amis du rez-de-chaussée. On ne sait jamais ce qui rode, surtout depuis que Trump menace de revenir nous hanter à la frontière alors que Poutine et les autres bouffons secouent nuits et jours leurs couvertures fantômatiques.
L’ennui me gagnant, je me suis mis à explorer la caverne d’Alibaba d’Amazone et suis tombé sur des petites lampes d’extérieur pas chères, ma chère. Et hop! Un achat spontané.
Le surlendemain, je recevais le paquet. Il suffisait maintenant de prendre mon courage à deux mains, moi qui déteste tout ce qui est courant électrique, de monter dans un escabeau afin de rétablir la lumière perdue.
L’interrupteur est-il bien fermé? Comment savoir s’il n’a pas été inversé? Cela arrive dans certaines chaumières. Devrais-je m’acheter un bidule de reconnaissance? Advienne que pourra. Allons-y, allons-zô. Si je meurs, j’aurai vécu.
Trente minutes plus tard, les lampes étaient installées. Heureux fus-je de ce petit plaisir domestique.
Je pourrais arrêter là, sans conclure outre mesure sur la chose ainsi faite. Mais certains me connaissent assez pour savoir que je leur réserve une capsule philo-psycho-poético-moralisatrice de circonstance que j’inventerai au fur et à mesure de l’inspiration. N’ai-je pas la Lune en Sagittaire et en secteur V, je vous prie? Sans compter Mercure dans le secteur des grands penseurs?
Je ne sais trop, pourtant, pour tout dire. Je ne sais plus rien, semble-t-il. On dira que je suis à l’âge où plus rien ne s’estompe, que tout ce qui se vit est vécu intensément, et avec joie ou dans la douleur chronique.
Il paraît que les deux plus importants sommets du bonheur se vivent lorsqu’on profite de ses vingt-ans et lorsqu’on s’ouvre les yeux dans la soixantaine. Le premier temps est vécu le flambeau très haut au bout de son bras, le second se goûte plus lentement ou âprement, tout dépend de la fécondité passée de sa vie.
J’ai installé deux lampes et j’ai bien dormi par la suite. Je me suis réveillé durant la nuit, car ma glycémie tombait largement en-dessous du minimum exigé par le cerveau. J’ai dû manger pour refaire le plein de glucides.
Ce matin, j’ai reçu d’Amazone des ampoules DEL qui m’ont permis de remplacer celles mortes du plafonnier de ma cuisine. Encore une fois la lumière. On n’arrête pas le bonheur.
Mais que conclure vraiment? Simplement de reconnaître ma chance, mon confort, ma bourgeoisie vieillissante. J’ai peut-être encore bien des années devant moi, mais rien ne sert d’y courir quand, par petits pas, je peux m’émerveiller de la gravité qui me retient bien au sol, sur cette Terre inexplicablement fourmillante d’horreurs et de magies.