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De la nécessité d’aimer

3 octobre 2020

Je venais de monter sur l’elliptique et, pendant que je commençais à pédaler, je me cherchais de quoi regarder sur Netflix. Je n’avais pas le goût d’une comédie, je venais aussi de terminer le visionnement d’un documentaire sur la mouvement religieux américain La Famille. J’ai tapé « gay » dans la recherche. Je ne me faisais pas trop d’illusions. Il se cache souvent dans cette catégorie autant de farces, des drames shakespeariens ou de petites historiettes qui promettent un peu de turgescence sans pour autant qu’on en ressorte ému ou apaisé.

C’est donc avec un peu d’appréhension que j’ai commencé le visionnement de God’s own country de Francis Lee, un film de 2017, sans savoir que ce film avait remporté de nombreux prix à travers le monde dans la catégorie du film indépendant. Le titre, en français, est joli : Seule la terre.

L’histoire a maintes fois été racontée, autant dans la sexualité hétéro- qu’homosexuelle. Un étranger arrive dans un village, vient bouleverser la vie de quelqu’un qui se croyait perdu. Nous sommes dans la campagne anglaise. Johnny Saxby, fils de cultivateur, a du mal à accepter l’avenir que lui présente la destinée. Son père acariâtre se remet d’un AVC, Johnny doit se taper l’ensemble du travail à la ferme, se saoule plus souvent la gueule le soir, se lève en vomissant le matin. La mère ne dit mot. Le jeune homme va vendre un boeuf aux enchères, en profite pour sauter sur un jeune villageois dans une roulotte. Scène explicite, brute comme la campagne peut l’être. Cela m’a rappelé confidences d’un médecin légiste qui vivait dans une ville éloignée de Russie, et qui me racontait, bouteille de vodka à moitié vide, par la magie de l’Internet, les frasques des hommes entre eux. C’est le bal des non-dits, des frustrations, du non-amour, le comportement stéréotypé des campagnards, ou des refoulés, qui n’acceptent pas la déviance, la considérant un péché mortel et qui réagissent le plus souvent en arborant un visage de béton, cloîtrés dans la peur de montrer une quelconque faiblesse.

Le film, une première réalisation, aurait pu se cantonner ainsi à décrire ce qui a déjà été maintes fois montré. Arrive un bel ouvrier roumain, Gheorghe, un immigré mal reçu évidemment par les villageois. Il a été engagé par la famille afin d’aider brièvement aux travaux de la ferme, durant la saison des mises à bas chez les brebis.

La rudesse de Johnny envers le travailleur présage sans surprise que le tout changera. Après tout, on est dans la démonstration de contrastes qui doivent se réconcilier, et pas nécessairement parce qu’il s’agit d’un film sur la relation homosexuelle.

Le Roumain aux cheveux noirs bouclés s’y connaît en travail, il sait aussi s’occuper des animaux, ce que Johnny ne sait trop faire. Les scènes sont classiques. Les deux jeunes hommes vont réparer un mur de pierres et s’occuper des brebis, loin de la maison. Bon en an mal an, l’orage éclate entre eux ainsi que la passion. Après quelques jours, Johnny est déjà un autre homme.

Je n’en dis pas plus sur l’histoire qui demeure somme toute assez simple. Celle-ci est cependant bien filmée, avec des scènes directes, franches, d’une intimité qui m’a interpellé. Tous les acteurs sont justes, il n’y a rien de caricatural dans leurs comportements et visions des choses. Après mes vingt minutes d’elliptique, je me suis couché dans mon lit, au lieu d’aller prendre ma douche. À la fin du visionnement, j’étais ébranlé, je l’avoue.

La beauté de ce petit film réside dans les sentiments qu’il expose, la promesse d’un jour meilleur qui arrive, car le film, pour une fois, finit bien. Il m’a confronté à ce que j’ai pu réussir en termes d’amour, à la grosse boule d’espoir qui s’est solidifiée comme une balle dure en moi, du constat que les possibilités sont maintenant ténues de ce côté, du moins la prise de conscience du temps perdu à avoir voulu être aimé.

Je me suis vraiment vu à la ferme, vivre avec un beau Roumain. Soit, oublions la ferme, même si je peux être un gars dur à l’ouvrage. Avoir eu vingt ans, cela aurait cependant tout à fait possible. Le bonheur peut être vraiment dans les prés.

Mais pour le reste… Ce rêve, cette nécessité d’avoir un compagnon, de parcourir les heures avec lui et de quitter la planète ayant dans le cœur la fleur de son sourire, cela je n’ai pas eu. Bien sûr, j’ai aimé et j’aime encore à ma façon, avec ce que le karma et le Dharma m’ont indiqué. Il me fallait quand même l’écrire ici, car on ne peut avancer dans la vie si on tait ses échecs, si on les regarde pas en face afin d’en faire, comme il se doit, la matière, le ciment, la cohésion de notre existence.

Il se peut fort bien que vous regardiez ce film sans vous émouvoir. Pour certains, les quelques scènes sexuelles les mettront mal à l’aise même si elles ne sont, après tout, que suggérées. On y reconnaîtra, j’en suis convaincu, la sexualité de tous les hommes et c’est ce qui compte.

God’s own country ne passera vraisemblablement pas à l’histoire du cinéma. Il aura marqué un temps la mienne, me rappelant la nécessité d’aimer, de rêver encore de ce que je pourrais être quand je serai grand et d’être maintenant ce que je suis puisque je suis vieux.

Les histoires que j’ai écrites n’ont pas la finesse de ce film, mais j’y ai reconnu la même pudeur crue. Il y a de la magie et de l’éternel à raconter l’amour.