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Des feux jaunes et des soleils brûlants

19 décembre 2021

À l’intersection près de mon lieu de travail, les piétons doivent attendre le signal blanc du passage à piétons. Les voitures, entretemps, tournent avec la liberté que leur procure le feu vert. Quand celui-ci vire au jaune, les piétons retiennent leur souffle. Certains posent déjà le pied dans la rue, mais bien mal leur en prenait d’aller trop vite, car les automobilistes, eux, ne ralentissent pas. Alors que finalement le feu devient rouge, il n’est pas rare de voir encore des gens pressés appuyer sur l’accélérateur afin de ne pas rater le virage.

C’est toujours la même chose, en fait. Il y a sans cesse des gens qui transgressent les lois, qui en font un petit peu plus, tentent leur chance, faisant fi des règles élémentaires de prudence.

J’ai appris à ne pas me fier à la permission que le bonhomme blanc illuminé me donne pour traverser la rue. J’attends encore quelques secondes, m’assurant que les archétypes humains, derrière leur volant, ont compris le message.

Est-ce bien différent de tout ce qui se passe sur la Terre? Le changement climatique est déjà passé au jaune? Qu’à cela ne tienne, on alourdit le pied. On prend du poids? Peut-être après ce repas bien gras penserons-nous cesser de nous empiffrer? Et ce virus qui nous frôle et nous procure des sueurs froides? Pourquoi ne pas attendre encore un petit peu, tenter notre chance, s’amuser avec les espoirs que le Diable nous souffle dans les oreilles?

Il sera toujours trop tard, un jour, mais notre espèce fera comme elle fait depuis que la Nature l’a dotée d’un désir de conquête et d’aventure inexorable. La lumière jaune ne nous a jamais vraiment fait peur. Peut-être permet-elle aux plus sages ou peureux de survivre, mais la gloire est l’apanage des téméraires. C’en est presque inscrit dans notre ADN.

Tout de même. Est-ce vraiment nécessaire de s’enorgueillir de notre adolescence éternelle? La question est difficile. Je comprends l’aventure, l’insistance de vivre. Nous sommes, après tout, que des Icare naïfs. Les poètes chantent depuis des lustres ce destin tragique de la lumière noire nous brûlant les ailes.

Un peu plus, je me ferais l’apôtre de toutes les transgressions. Notre liberté se bâtit pourtant en consolidant la vie autour de nous. Il y a de moyen de chanter sans casser les oreilles, il y a lieu d’aimer sans devoir haïr, de penser aux autres, car les autres penseront bien à nous aussi. On peut danser en apprenant à le faire, en évitant le plus possible les blessures. On peut s’approcher des soleils en se protégeant les yeux.

Les imbéciles téméraires demeurent évidemment des imbéciles. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Respirer un air plus vaste ne leur vient pas à l’idée. Ils sont des aveugles s’amusant à dériver comme des ivrognes délestés de leurs inhibitions.

Suis-je sage ou peureux? Je peux comprendre Platon qui désirait faire des philosophes les gardiens du royaume. L’histoire nous a montré qu’il s’agissait là d’une illusion. Même si les sages se mettaient en colère plus souvent, ils ne cesseront de se culpabiliser de vouloir imposer leurs certitudes. Il n’est en effet pas rare qu’eux aussi soient pressés de passer à autre chose.

Je m’en remets à la Réalité, car elle est éternelle et son indifférence est à la mesure de notre insoucience. Moi, assis sur le plancher de l’univers, j’ouvre les yeux vers les étoiles. Y a-t-il quelque part, près d’une étoile virée au rouge, des êtres intelligents qui continuent de se moquer de la couleur de leur soleil?