Il y a environ quatre-vingt-dix ans, allons, exagérons un peu, il y a environ cent ans, a eu lieu une expérience qui bouleversa le concept de la réalité. Einstein lui-même n’osait pas le croire. L’expérience reprenait celle de Thomas Young faite en 1801 avec laquelle il démontrait que la lumière était une onde. C’est tout simple. Placez une source lumineuse devant un obstacle possédant deux ouvertures égales. De l’autre côté, sur un autre mur, vous verrez apparaître un motif qui ressemble à ce qui est produit par une onde sur l’eau. Lorsque les ondes lumineuses se croisent, elles forment des vagues, s’annulent ou s’amplifient à la manière de ce que l’on peut observer sur un plan d’eau dans lequel on jette simultanément deux pierres.
Au début du XXe siècle, on réalisa que cela n’était pas aussi simple. Si on réduit la source lumineuse à un seul photon à la fois, le photon étant la particule élémentaire de la lumière, le même motif d’ondes apparaît de l’autre côté, ce qui est contradictoire, car un seul photo n’aurait dû passer que dans une des deux fentes… On en déduisit que la lumière possédait une double nature, à la fois celle de l’onde et celle d’une particule. Cela est déjà assez troublant. Compliquons alors l’expérience en oblitérant une des deux fentes. Le photon passe au travers de celle ouverte, mais ne produit plus d’interférence. Le photon est devenu une particule. Grosso modo, et si je comprends bien la chose, la lumière est une onde quand on teste sa qualité d’onde, mais devient une particule si on tente de détecter… une particule. C’est le type d’expérience qui dicte le résultat. Les conditions de l’observations détruisent en quelque sorte un aspect de la réalité pour respecter notre désir de résultat. Bref, la réalité sans nous n’existe pas.
Il y a cent ans, les physiciens ont commencé à percevoir une univers qui n’apparait que si on le mesure de telle ou telle manière. On peut certes penser que ce défaut provient de notre capacité à observer, que cela est dû à la pauvreté de nos instruments de mesure.
Or, la mathématique derrière ces découvertes, d’une logique assez froide, nous confirme pourtant que c’est bien ici que le tout opère. L’Homme, disaient les anciens, est la mesure de l’univers. Il n’y a aucun faux orgueil derrière cette affirmation. Faisant partie de ce monde, notre espèce douée de raisonnement (peut-être pas tout le temps de raison) découvre ce qui est, parce qu’elle fait partie de ce monde. Il n’y a pas de séparation entre nous et l’univers. Sans nous, l’univers, du moins notre univers, n’est pas observé. Il n’existe pas.
La majorité des physiciens se rangent derrière l’interprétation de Copenhague, à savoir que cette découverte n’a pas d’importance. On a émis alors sept axiomes pouvant se contredire, mais coexistants.
On peut très bien continuer à mesurer l’univers et obtenir des résultats probants. La preuve, les ordinateurs quantique, l’informatique et l’internet. On vit avec les paradoxes inhérents à nos découvertes et on ne va pas chercher le pourquoi des choses. Savoir pourquoi il en est ainsi n’est pas l’objet de la science.
Après tout, comment pourrions-nous vivre si, du jour au lendemain, l’être humain se perdait dans des considérations philosophiques ayant leurs racines dans les intuitions archaïques de la pensée hindoue ou du sorcier d’Australie?
Il existe d’autres physiciens, peu nombreux, mais tout de même de grosses pointures, qui n’ont jamais été satisfaits de cette manière de penser. Pour eux, se poser la question du comment cela se peut-il? ou du pourquoi? devrait reprendre sa place dans les interrogations scientifiques. Ils arrivent aussi, avec d’autres hypothèses, à décrire la réalité en y ajoutant toutefois la dimension de la conscience, qu’elle soit toute individuelle ou universelle (ici, on parle d’un univers qui se pense lui-même).
Quand on en est rendu à pouvoir transférer de l’information d’un quanta à un autre sans que ceux-ci ne se touchent ou qu’ils soient tout près l’un de l’autre, comment peut-on se satisfaire d’une interprétation que certains associeront à un aveuglement volontaire? Avons-nous peur?
Voilà maintenant cent ans que la réalité n’est plus celle de Newton, que des certains scientifiques nous disent que notre conception de la réalité est désuète, que nos convictions sont en fait un virus qui se nourrit inlassablement de la pauvreté de nos sens.
Il est vrai que les faiseurs de bonnes nouvelles et de mysticisme commercial ou malhabiles se sont jetés sur ces découvertes sans pourtant pouvoir rien prouver. On peut comprendre ceux qui préfèrent les axiomes de Copenhague, car nulle place est faite dans ceux-ci aux charlatans qui inondent les librairies. Il est trop facile de colorer l’inconnu avec les rideaux de nos peurs. Nous existons, nous nous assoyons sur des chaises, nous nous nourrissons avec la matière, nous nous touchons, car nous sommes des choses. Mais cette frontière serait mince, voire illusoire. Combien de temps, de siècles ou de millénaires aura besoin l’espèce humaine pour dépasser sa conception de la réalité qui n’a pas deux cents ans? Nous ne sommes pas éternels dans la forme que nous connaissons, et il est fort possible que, si nous survivons d’une manière à notre corps, nous ne soyons plus, de toute manière, nous-mêmes, ne serions que de l’information retournant au bercail de la mémoire universelle.
Cela a vraiment du sens?
Est-il vrai qu’avant l’invention de la réalité, l’Homme ancien parlait aux arbres et qu’il ne faudrait qu’un peu de passion et d’ouverture pour en être de nouveau apte? Est-il vrai que l’univers est trop cohérent pour qu’il ne soit que le fruit du hasard? Qu’il est partout pareil? N’y a-t-il pas là un mystère qui devrait nous foudroyer d’humilité et surtout de nous faire cesser le massacre de nos vies et de notre planète?
Oublions les églises et leurs certitudes, mais demeurons les yeux ouverts sur le rêve et l’imagination?