La réalité est un subtil construit de nos sens. Différentes joies, différentes blessures, un essaim d’interprétations résumant nos curriculums.
Nous rêvons tous un peu les mêmes fables. Ce que nous percevons par nos sens depuis des milliers d’années aura fini par se sédimenter en une conception de la réalité qui a peine à comprendre les nouveaux algorithmes.
Le monde, encore une fois, se transforme sous nos yeux. Autrefois, les buissons parlaient et dictaient des commandements, puis la Terre s’est libérée de son terrain plat. Par la suite, nos télescopes, nos microscopes et nos équations ont tout mélangé de nouveau. L’univers est grandiose, l’infiniment petit est effectivement infini, l’ordre des choses se trouve en tout. Ce qui se trame autour des milliards d’étoiles qui composent notre propre galaxie serait similaire à ce qui se fomente à travers le gigantisme des autres essaims de phénomènes. Tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, vice et versa. La danse devient à la fois infernale et tragiquement magnifique.
Pas étonnant alors que nous soyons tentés de juger l’histoire pour ce qu’elle n’a jamais été. Notre regard a changé et nos errances passées se transforment soudainement en vénalités impardonnables. On voudrait refaire le monde avec les doubles foyers fatigués de nos sens comme si on ne prenait pas le temps – le voulons-nous vraiment? – de comprendre la nouvelle quadrature de l’univers, comme si le présent de nos yeux aveuglés ne pouvait se colorer de vibrations ultraviolettes.
Je suis perdu, il me semble, immobilisé par tant de possibles. Je veux tant rejoindre la plénitude de l’instant présent, me coller à toi, corps et esprit étranger, comme s’il n’y avait de réponse que dans les questions que je pourrais te poser au contact de ton corps.
Il s’agit bien d’un rêve, en moi, en nous, dont les frontières vibrent au passage des êtres que l’on côtoie. Il s’agit de ritournelles originales que ne partagent pas moins le même orchestre et la même audience d’un théâtre temporel, redondant, qu’il serait possible, dit-on maintenant, de dépasser, d’outrepasser. Cela pour chanter, magnifier la beauté, la laideur de ce que nous expérimentons, de fendre nos coquilles et de comprendre autrement la nature de ce qui ne semble être le summum du vrai.
Je suis à la fois heureux seul, et triste seul. J’angoisse de n’avoir en superficie que des ailes de cire. Et si je priais Shiva, aurais-je plus de chance de goûter au miel de l’éternel? Et si je me taisais, accéderais-je plus facilement à la porte des étoiles?
Om Namah Shivaya. Existe-il une meilleure prière pour les temps modernes? Suis-je là pour la découvrir ou l’inventer?