C’est un peu comme si le temps m’avait blessé, je vous dis. Ou bien c’est seulement la chaleur qui appesantit mes jours. Je me prends à observer sans fin les nuages. S’ils ne sont que mouvance, ils finissent par revenir aux mêmes formes, boursoufflés comme de la mousse. Parfois le ciel est clair, tantôt il est gris, en tornade, mais les cumulus reprennent du galon à la moindre occasion.
Ai-je mal? Non, c’est ma pensée qui s’étend par l’ouverture des heures. Dans notre vision ténue de la réalité, le temps nous apparaît comme de multiples blessures qui se figent en possibles souvenirs. La pensée y trouve son compte, s’échappe encore et encore, éternellement jeune et vaillante. Quel paradoxe de constater alors cette accumulation de cicatrices ridant le visage et les mains, ramollissant la peau aux mauvais moments pendant que nos neurones font la fête, dévêtus comme l’orgasme sans cesse renouvelé des adolescents volontaires.
Mon père nous avoua la semaine dernière, en regardant les photos que j’avais prises de lui, qu’il n’aimait pas se voir vieux. Cela m’a touché et instruit. Nos regards demeurent inchangés, billes ou perles diamantées, dont le prisme ne se lasse pas de décortiquer la lumière. On dit que l’univers est conscience et qu’il se dévoile en chacun de nous. Mais je ne comprends pas alors qu’il faille tant d’effort pour connaître, ni cet aveuglément qui nous fait regretter le teint de notre jeunesse, maudire les taches sur notre peau.
Si nous sommes la somme holographique de l’univers, pourquoi n’en voyons-nous pas l’arithmétique? À cause d’une chute? C’est ce que la Bible et autres fables nous racontent. Qu’en savons-nous vraiment? Pourquoi sommes-nous à la naissance sans vision et plus tard menteurs? Mon ami africain me disait que Dieu aidait le pauvre. Je lui ai rétorqué que si tel était le cas, il n’y aurait pas de pauvres et il ne serait pas là à prier pour que sa maison ne s’effondre pas au moindre vent. Ce Dieu-là, je crois, il n’est jamais né, n’a jamais existé sauf dans nos fantasmes de découvrir la lumière.
Nous sommes peut-être les enfants d’une force qui dépasse notre entendement. La science quantique dévoile peu à peu le voile de cet étrange monde. Soit. Il y a anguille sous roche. L’Humanité serait à une croisée de quelque chose, prête à faire un saut logarithmique vers on ne sait où. Les temps sont à l’Akasha, au champ zéro pendant que la planète s’étouffe avec le méthane de nos excréments.
Je suis prêt à accepter cela, je suis prêt à concevoir que, dans une minute de mon temps, je puisse voyager à travers le monde. Si j’entrevois ne serait-ce qu’une lueur de la réalité, le temps continuera tout de même à flageller mes sens, à sucer mon désir de vivre.
N’est-il de véritable réponse et de jeunesse que la respiration silencieuse de notre pensée solitaire? Cesse-t-on de tomber quand on tait le temps?