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La fourmi et l’autoroute

24 décembre 2016

La page blanche m’invite encore à distribuer mes humeurs. J’ai beau parler de silence et d’hiver, mon esprit, bien que fatigué, vit un perpétuel mouvement printanier.

Mais tout de même…

J’ai fait la découverte de la fourmi de Langton il y a quelques jours à travers une vidéo très sympa (voir aussi ce billet). Comme le dit l’auteur de la vidéo et du billet, la fourmi de Langton est un petit programme informatique qui décrit une fourmi se déplaçant sur les cases d’une grille. Les règles qui régissent le mouvement de la fourmi sont d’une grande simplicité, et pourtant son comportement est complexe et tout sauf anodin. Et personne ne comprend vraiment pourquoi…

Une fourmi se déplace sur un damier avec une règle simple. Si elle est sur une case noire, elle tourne à gauche, si elle est sur une case blanche, elle tourne à droite. En quittant une case, celle-ci inverse sa couleur.

Comme on s’en doute, la fourmi va, au départ, dans tous les sens, mais au bout de la 10000e itération (changement de case), elle se met à aller tout droit dans ce que le Langton a appelé une autoroute.

Découvrant cela, le chercheur a tenté de modifier les règles (le comportement) de la fourmi, mais rien n’y fait. Peu importe la complexité de l’environnement de départ, la fourmi (ou les fourmis si on en met plusieurs), finit par aller dans une direction et elle ne changera plus sa course jusqu’à l’infini (ou jusqu’à ce qu’on stoppe le programme.

On appelle ça un phénomène émergent et, on s’en doute bien, on pense tout de suite à la vie.

Se pourrait-il que, derrière les balbutiements des premières molécules, se soient dessinées des routes, des formes, des structures qui, en se complexifiant encore davantage, ont mené à d’autres autoroutes, d’autres architectures ? Il semblerait que si. Les scientifiques et les geeks s’en donnent à cœur joie avec ces jeux aléatoires qui finissent par donner d’étonnantes géométries. On pense aussi aux fractales. Un professeur Tournesol enseigne le code de la nature (en inversant étrangement le nom de son cours : The Nature of Code). Nos jeux vidéo fourmillent (littéralement) d’équations et processus mathématiques qui nous rapprochent de plus en plus d’une autre réalité, celle de l’intelligence artificielle qui n’a d’artificielle que la qualité d’être crée par l’être humain puisque… notre intelligence provient peut-être d’un vieux phénomène de fourmi étourdie. Même cette phrase ressemble à un parcours de termite.

Cette histoire d’autoroute m’amène à parler de nos vies. Et si notre existence n’était que ce bruit plus ou moins aléatoire et créatif ? Qu’après un certain temps, plus ou moins rapide selon les circonstances et les individus, on en vienne à s’enfermer dans le couloir étroit d’une autoroute ? Michel Tremblay a déjà déclaré qu’après un certain temps, on écrit toujours la même histoire (il aurait dû s’arrêter alors…), le poète Alfred Desrochers a dit quelque chose de similaire, que l’imaginaire appartenait aux jeunes.

Je sais que c’est tiré par les cheveux, mais je tire continuellement sur ma maigre chevelure. Je suis comme ça, dans le brouillard, je cherche à construire une autoroute même si je ne la veux jamais droite. Car vivre toujours tout droit, c’est probablement un peu comme la mort, comme ce battement de cœur à l’écran qui, soudain, ne fait plus de vague.

Et encore, ce monde fou dans lequel nous vivons, qui nous apparaît si chaotique et incertain, ne surviendra-t-il pas une autre de ces catastrophes éternelles comme une guerre, une extinction qui fera de notre existence sur Terre une ligne sur laquelle nos cendres s’évaporeront ?

J’aimerais me méfier de l’aléatoire ; pourtant il est source de vie, il est le véritable Bon Dieu qui ne regarde pas ce qu’il invente. Voilà, j’en suis certain, Dieu est une fourmi ivre qui, de temps en temps, pète une longue autoroute nerveuse dans laquelle nous nous mouvons, nos esprits enivrés de brouillard divin.

Je deviens grossier.

La vie est grossière, elle bouillonne, excitée, créant sa route sans savoir pourquoi elle le fait.

Voilà où mes tergiversations scientifiques me conduisent. On comprend maintenant pourquoi je n’ai pas poursuivi en sciences pures.