J’ai visionné il y a quelques semaines la télésérie Emily Dickinson sur Apple+ , une amusante et touchante relecture des premières années littéraires de la poétesse. Je ne connaissais d’elle que le nom. La télésérie ne semble pas s’écarter de la vérité,même s’il a bien fallu inventer librement ce qui n’a jamais été connu de la vie de l’écrivaine. Le personnage tel que montré dans la télésérie est à la fois juste et faux. On s’en moque un peu.
On pourrait résumer le thème central de la série à ceci : la réclusion volontaire après un bref combat pour obtenir la gloire, un univers fermé, un jardin secret apte à faire éclore des richesses d’idées.
Les poètes silencieux, les petits artistes du mot, mais aussi la plupart des comédiens, des danseurs, des chanteurs, des peintres, sculpteurs et, que sais-je encore, ceux et celles qui ne laisseront probablement pas de trace, en savent tous quelque chose.
Pour Dickinson, la célébrité, s’il en est une, fut posthume. On pourrait en dire autant du premier Bach, Jean-Sébastien, qui ne fut vraiment redécouvert qu’au XXe siècle. L’art se passe volontiers des beaux habits qu’on affiche dans les pensées stéréotypées.
La poétesse américaine était obsédée par la mort, non pas de manière morbide, mais davantage, je pense si on en croit la télésérie et mes brèves lectures, par une accointance avec la Grande Faucheuse. C’était sans doute aussi dans l’air du temps, un romantisme libre associé à un existentialisme précoce. La Finalité est notre grande impératrice et muse.
Sans vouloir ou oser me comparer à elle, je me suis senti interpellé par son histoire. Le contentement qu’elle semblait éprouver à n’écrire que pour écrire, à reconnaître que la gloire est une bien mauvaise ombre sur la flamme intérieure d’un artiste, j’ai fini aussi par l’accepter.
On ne saura, bien entendu, vraiment si la poétesse avait renoncé à être connue de son vivant. On me disait encore il y a quelques jours que ce qui importe le plus est que je sois heureux à écrire, sans égards à ce qu’il adviendra.
La leçon vaut pour tous. Nous sommes vivants, quoi qu’il advienne de la longueur de notre passage, de la persistance de la trace que nous ferons. Des légions d’hommes et de femmes ont foulé cette terre. Ils font partie de cette eau qui meut le moulin de l’univers.
Je me demande s’il n’y a tout de même pas une grande rivière qui accueille les affluents d’âmes passagères. Quelle est la direction que prend notre fin ? À quoi vibrons-nous ?
N’y a-t-il pas en nous une mélodie que l’on doit, à notre manière, partager ? Le briqueteur, la romancière, le politicien, l’inventrice, le chercheur, la sportive, tout ce qui s’anime et tout ce qui s’éteint ne peuvent composer qu’une seule et mystérieuse partition.
Réveillons nos oreilles, humons l’air du temps et notre élan pour ne pas rater le concert et sa grande finale. Et dire que je ne sais même pas nager.