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La mort, le philosophe, le guru et le docteur

24 juillet 2021

La mort, un sujet ou une entité, on ne saurait dire. Dans plusieurs langues, dont le français, la mort possède un genre alors qu’en anglais, c’est une chose, un « it ». Lequel fait plus de sens, je laisse cela à d’autres.

Sans que je ne demande mon dû, le hasard m’a amené à visionner deux courts métrages: A 97-Year-Old Philosopher Faces His Own Death et Ram Dass, Going Home. Un peu plus tard dans la semaine, je suis tombé sur What really matters at the end of life et, enfin, une interview avec Ram Dass, l’année de sa mort.

Dans la première vidéo, celle du philosophe, on est plongé dans la réalité d’un homme qui aura pensé, écrit et publié sur la mort et qui, à la fin de son existence nous déclare, avec un geste fatigué de la main, que cela est pas mal de la foutaise. L’homme a aimé sa vie, il est triste de l’abandonner. Il pleure au souvenir de sa compagne décédée cinq ou six ans plus tôt. Il se souvient, regrette sa présence.

Néanmoins, derrière cette amertume, il continue à vivre ce qu’il lui reste de souffle. Son regard se tourne immanquablement vers les arbres, la beauté du ciel, la douceur du jardin et de son vent protégé.

Dans la seconde vidéo, que l’on ne peut visionner que si on est abonné à Netflix, on rencontre le fameux Ram Dass, guide spirituel jovial qui aura fait connaître au monde occidental la spiritualité de l’Inde. Ram Dass est encore, dans cette vidéo, en possession de ses moyens. On pourrait dire que sa paix est contagieuse, imbue d’une certitude que l’on pourrait envier. Il y a le même constat face à l’observation de la nature et notre participation à celle-ci. Devant un beau paysage, et Ram Dass vivait à Maui, Hawaii, l’être humain se soumet, se vêt d’humilité. L’interview que l’on peut voir sur YouTube nous montre un Ram Dass amoindri, cherchant ses mots, ne pouvant plus combattre les séquelles d’un AVC subi en 1997. Mais sa certitude demeure, lui, souriant de ses belles dents et son regard bleu pointant la caméra afin de vous inviter à la Lumière.

Le contraste est frappant entre le philosophe et le guru, l’un habitant entre les murs de son existence, l’autre voyageant ou jonglant avec les multiples dimensions de la conscience.

On ne peut certes décider de quoi que ce soit ici. Les paris demeurent ouverts, comme on dit. Mon meilleur ami se dit «nihiliste» dans le sens qu’il ne croit à rien d’autre que sa vie présente. La mort passe pour lui par une désintégration de ce qui est sans volonté de trouver une explication, de reformuler pour mieux accepter. C’est un homme plein de vie, très vert pour son âge (c’en est intimidant). Cette vie lui suffit.

De mon côté, j’aurais tendance à être comme ce bel homme, médecin, gravement handicapé par un accident et qui s’occupe dorénavant des gens en fin de vie, ce qu’il nous explique dans cette conférence TED. Un, je le trouve super beau (ce que je peux être superficiel). Deux, il me ramène du temps où je vivais avec Claude, alors étudiant en counselling qui avait décidé, lui aussi, d’accompagner les gens atteints de cancer. Ses raisons relevaient sans doute du chamanisme, mais que cela ne tienne. J’étais profondément touché par ces gens qui venaient le voir afin d’obtenir un tant soit peu d’aide, du moins un temps précieux pour parler de leur vie avant qu’elle ne s’envole en souvenirs. Cela me ramène également le souvenir de cet homme qui, du haut de sa certitude existentielle, déclarait vouloir se donner la mort. J’en avais fait une nouvelle parue dans La Vie dure. J’avais eu du mal à le convaincre de n’en rien faire, me sentant impuissant, pauvre de ma propre certitude ou de ma logique. Il doit être encore en vie, je pense. Il m’avait remercié parce que je lui avais fait promettre que s’il avait le moindre doute au moment de passer à l’acte, que cela serait suffisant pour ne pas le faire. J’étais sans doute très naïf et beaucoup crieront d’horreur devant mon comportement. Je n’étais certes pas outillé pour affronter cette situation. Je ne le suis sans doute pas plus. Mais au moins, je peux maintenant donner un numéro d’urgence… Y a du bon dans la modernité.

Dernièrement, un de mes employés est décédé subitement, de causes naturelles. Il avait 42 ans, je ne le connaissais que depuis deux mois et, si je calcule bien, j’ai peut-être été le dernier collègue de travail à qui il a parlé. La mort des autres sera toujours un choc, même si ces gens n’ont aucun ancrage avec vous. D’autres situations autour de moi me rappellent la mort, ces temps-ci. Parfois ma propre fatigue se fait entendre comme si elle était la messagère de la Grande Faucheuse. De plus, il y a ce virus qui, comme un clown tragique, nous fait pleurer de rire ou nous esclaffer de malheur.

Il en va ainsi et je ne peux que me soumettre. Ce n’est pas la première fois que je l’écris dans ces modestes promenades. Et notre joli médecin nous invite aussi à le faire. Je ne réussis pas toujours à le faire, cela fait partie de ma nature et de mon voyage.

Dans son insistante bienveillance, Ram Dass nous rappelle son mantra: I am loving awareness, I am loving awareness, I am loving awareness (J’aime être conscient). Cela rejoint le philosophe, le docteur et le sage. Dans une autre vidéo, Finding Joe, on nous incite à retrouver le voyage héroïque qui est celui de chacun d’entre nous. Découvrir son bonheur, mauvaise traduction de Discover your bliss.

Castaneda, et bien d’autres, vraiment beaucoup d’autres, nous enjoignait à faire de la mort notre amie, de se la représenter comme d’un oiseau sur son épaule. Cela n’est pas morbide. Il faut vivre, non pas dans la peur de la mort, mais parce que la mort existe, qu’elle nous indique, sans que nous puissions en connaître le moment précis, qu’il y a un terme à notre expérience. Que l’on croit qu’il y a continuité ou non, dans un univers de conscience indifférenciée, n’est pas le propos de la vie. Le philosophe a raison de balayer du revers de la main ses certitudes, le sage a raison de danser avec elles, le médecin a raison de nous fournir son coeur en partage et quelques pilules pour nous rendre heureux.

La quête est d’être ce qui est en nous et de faire en sorte que l’univers n’en soit pas meurtri, c’est probablement la seule certitude que je peux offrir ici.

I am loving awareness.