Il y a peu ou presque de visages dans mes photos. Plusieurs facteurs sont en cause. Premièrement, ma timidité qui n’est pas aidée par le deuxième facteur, le droit à l’image des gens.
Ici, il est interdit de prendre en photos les individus qui ne donnent pas leur consentement. Je me souviens d’un violoniste dans le métro parisien qui m’avait conspué pour l’avoir pris en photo, exigeant que je verse de l’argent dans son bol. Je lui avais montré l’écran de mon appareil et avait appuyé sur le bouton « Supprimer« ». Au lieu de se calmer, l’homme redoubla de colère. Il venait de perdre sur tous les plans. Un ami à qui j’avais demandé il y a quelques années de poser pour moi a refusé par la suite que j’utilise quelques-uns des clichés obtenus pour mon site Web. Les photos étaient simples, belles, l’une le montrait certes nu, mais dans une pose tout à fait convenable. Il était vraiment beau sur cette photo. Il avait certainement ses raisons, on en a tous, son refus m’a cependant laissé un goût amer. Je suis évidemment naïf et ne comprends pas, tel un enfant, qu’on ne lui accorde pas ce qu’il désire.
Cet homme, là, dans la photo floue ci-dessus, j’aurais aimé le suivre, lui parler, mais il n’aurait probablement pas compris mon geste, se serait sans doute senti encore plus humilié, du moins, c’est ce que je crois.
Je discutais l’autre jour avec une photographe new-yorkaise qui affirmait ne pas avoir ce problème dans son pays. Il en va aussi de même chez les Brésiliens qui adorent se faire prendre en photo.
Ici, dans nos pays du Nord, nos pays inexorablement tournés vers la déchéance, les gens s’accrochent au peu qu’il leur reste, ils ont peur d’une quelconque usurpation et n’accordent que parcimonieusement aux autres le droit de les photographier, surtout si c’est pour les montrer dans leur beauté naturelle qui échappe habituellement au regard de tous. Il se peut que ces photos montrent une vérité qu’ils ne veulent plus entendre et je ne peux, au final, que respecter leur volonté. Ils ont leur vie à vivre, ne veulent pas la compliquer, ne voudraient pas que ça leur coûte leur travail, etc. Je comprends tout ça, et je m’en désole néanmoins.
Combien de fois aurais-je voulu, dans le métro, dans la rue, stopper un homme, une femme, un enfant et lui sourire, lui demander quelques instants de sa vie pour s’appuyer contre le mur afin de capter son regard. Je me dis souvent que je devrais m’imprimer une carte professionnelle sur laquelle je montrerais patte blanche, tenterais de convaincre les inconnus que je ne suis ni méchant ni mercantile.
Je suis, je le répète, naïf, la modernité n’a pas encore réussi à libérer l’Homme. Il a peur plus que jamais et je suis trop timide pour m’en moquer.